Bibliographique

 

Le XIXe si�cle culturel

 

Expositions et mus�es

Deux expositions d'Art Am�ricain : Thomas Eakins (1844-1916), Un r�aliste am�ricain

Au mus�e d'Orsay. Cet artiste, n� � Philadelphie, compl�ta sa formation � Paris entre 1866 et 1870 dans les ateliers de G�r�me et Bonnat. De retour aux �tats-Unis il se sp�cialisa dans les sujets sportifs (courses d'aviron, r�gates, plus tard combats de boxe), devenus une tradition dans la peinture am�ricaine. Fort de son exp�rience fran�aise, il enseigna l'�tude du nu, d'apr�s des photographies et des mod�les vivants, ce qui lui valut quelques ennuis aupr�s d'une Am�rique puritaine. Son int�r�t pour l'anatomie ne se limita pas au nu vivant et en mouvement, car le corps malade lui inspira aussi des tableaux r�alistes de chirurgie op�ratoire, � la fois � modernes � et non d�nu�s de sensationnalisme, comme La clinique du Docteur Agnew (1889), ici expos�e, o� l'on ne peut manquer de voir une r�f�rence � Rembrandt (La le�on d'anatomie). L'artiste, d�savou� comme enseignant, acheva son �uvre par un retour aux paysages et personnages typiquement am�ricains du Grand Ouest. On retiendra ses tr�s beaux portraits de personnalit�s connues (comme le po�te Walt Whitman) et d'anonymes, et son int�r�t, d'une mani�re g�n�rale, pour la vie quotidienne, qui fait de lui un anc�tre direct et imm�diat de Hopper.   American Sublime, Landscape Painting in the United States (1820-2002)

� la Tate Gallery (Tate Britain), jusqu'au 19 mai 2002.

L'exposition entra�ne le spectateur des paysages de la C�te Est � ceux du Grand Ouest, au fil de multiples d�tours patriotiques, philosophiques et religieux.

Dans son trait� d'esth�tique, A Philosophical Inquiry into the Sublime and the Beautiful, 1757, Edmund Burke (1729-1797) distingue les cat�gories du Sublime et du Beau. Au Sublime sont associ�s l'infini, l'obscurit�, la solitude, le danger, sentiments parfois exquis (� a delightful horror �) au Beau le fini (relatif), la douceur, l'�clat, la couleur. La peinture de Thomas Cole (1801-1848), dans la premi�re section de l'exposition intitul�e Wilderness, se r�f�re � l'esth�tique flamboyante et dramatique de Salvator Rosa (1615-1673), qui s'oppose � celle de Claude Gell�e (1600-1682) dit le Lorrain, et � celle de Poussin. Dans cette Am�rique encore neuve, la nature est rest�e sauvage et vierge comme dans les Monts des Catskill, la vall�e du Hudson et les Grands Lacs, vierge aussi de toute ruine d'abbaye ou de ch�teau. Un Indien minuscule appara�t parfois dans les tableaux.

Mais Cole et son �l�ve Edwin Church (1826-1900) ne se contentent pas d'�tre les chantres romantiques d'une nature � sublime �, rendue par de vifs contrastes d'ombre et de lumi�re et des tons vifs, car tr�s t�t Dieu fait son apparition au c�ur de cette Cr�ation et lui donne un sens. Cole retient les le�ons de John Martin (1789-1854), peintre mill�nariste et apocalyptique britannique dont on peut voir quelques grandes �vocations dans une autre salle de la Tate Britain (son Jugement Dernier, par exemple). La deuxi�me section de l'exposition, intitul�e The Course of the Empire est en effet consacr�e � un cycle de peintures que Cole (1835-1838) aurait pu appeler � Grandeur et D�cadence � : elles font allusion � l'Empire Romain (on songe d'ailleurs aux Romains de la D�cadence de Thomas Couture, au Mus�e d'Orsay), l'exemple c�l�bre qu'une Am�rique d�sormais s�re d'elle-m�me et prosp�re, celle du pr�sident Andew Jackson, ne devrait pas suivre. Le tableau biblique et proph�tique � la mani�re de Rosa, Expulsion from the Garden of Eden (1827-1828), dans la m�me salle, s'annonce comme une menace pour cette Am�rique oublieuse de ses origines.

Lecteur de Ruskin, Church se veut humble devant la nature car elle est d'essence divine, et pour lui comme pour l'auteur des Modern Painters, tout grand art est louange et pri�re. Il convient de respecter les d�tails, les couleurs du monde cr��. En ce sens son art s'apparente au Pr�rapha�lisme. Mais Church est am�ricain, et � la pi�t� s'ajoutent un fort sentiment patriotique ainsi que le regret de voir cette beaut� donn�e aux hommes d�flor�e par la main destructrice de la civilisation, du � progr�s � urbain et industriel. Les arbres abattus et parfois dispos�s en croix en sont le symbole. Ainsi apparaissent chez ces artistes des contradictions : adh�sion � l'esprit pionnier tout en fustigeant la marche en avant de la civilisation, justification de la prosp�rit�, sentiment d'�tre un peuple �lu, tout en soulignant l'arrogance et la petitesse de l'homme.

Le Sublime r�appara�t dans de petits formats, mais aussi et surtout dans la peinture spectaculaire comme celle des chutes du Niagara, destination touristique encore originale � l'�poque et non d�nu�e de danger, paradigme de la puissance divine, o� l'homme est repr�sent� comme un point devant l'infini. Mais ces vagues et cascades furieuses ont leur contrepartie dans les �vocations calmes et sereines d'un Francis Cropsey, plus inspir�es par Claude Lorrain. De m�me, les eaux calmes des lacs et de mers tranquilles, des ports qui abritent les derniers sp�cimens de la navigation � voile (Gloucester Harbour, Mass) invitent � la m�ditation � transcendantale �, � l'action de gr�ce. La lumi�re des horizons immenses et les multiples rendus atmosph�riques contribuent � cette invitation.

Mais une autre invitation, au voyage cette fois, surprend le spectateur. Cap sur le Grand Sud ! Il est d'autres paradis que l'Am�rique. Nous voici transport�s en �quateur. Ce volcan en explosion (Cotopaxi, 1865) est-il r�el (Church fit deux voyages en Am�rique du Sud, en 1853 et 1857), o� le fruit d'une imagination aliment�e par la Guerre Civile ? Mais voici une vision d'arc-en-ciel (Rainy Seasons in the Tropics), disant la r�conciliation de Dieu avec les hommes, et le calme biblique est revenu. Autre surprise : Le Grand Nord cette fois, du c�t� de Terre-Neuve. Un espace obscur est ici reconstitu�, et des tentures de th��tre de marionnettes, recr�ation d'�poque, encadrent des icebergs � l'aspect de grosses meringues judicieusement �clair�es.

On termine le parcours par une destination classique et oblig�e : le Far West. Les successeurs de Church ont la chance d'y acc�der plus facilement. Non pas la c�te ensoleill�e du Golden State, mais la partie plus dure, le Grand Canyon, Yosemite, la Sierra Nevada, les Rocheuses, avec un retour parfois � la technique pr�cise pr�rapha�lite. Il n'est pas s�r que l'effrayant Puget Sound soit vraiment le bras de mer que connaissaient les habitants de Seattle m�me � cette �poque ! La noyade n'a-t-elle pas ici une valeur symbolique d'avertissement ? On retrouve avec plaisir la pr�sence d'Indiens qui ne sont plus lilliputiens. 0n peut appr�cier les �uvres de Thomas Moran, comme The Song of Hiawatha, inspir� d'un po�me de Longfellow, qui met en sc�ne, debout sur son rocher du d�sert, le magicien Megisgowon, croquemitaine des petits Indiens.

  Turner and Marden

� la Clore Gallery, Tate Britain (en marge des collections permanentes du legs Turner).

Exposition-dossier (partie d'une s�rie d'autres tentatives de rapprochements avec des artistes contemporains), tendant ici � �tablir des liens entre Turner et le minimaliste abstrait new yorkais Brice Marden (n� en 1938), auteur de Ten Days (1971), Zen Studies (1991), Cold Mountain Studies... Parmi les affinit�s possibles recens�es entre Turner et Marden : d�gager le caract�re � la fois ali�nant et �nerg�tique de la nature en s'�loignant de sa repr�sentation directe, le sens de l'infini de l'espace et du monde, en employant des moyens minimaux.

  Turner's Picturesque Travels : Engraved Views of Britain

� la Clore Gallery, Tate Britain

Les guerres napol�oniennes rendant impossible de quitter la Grande-Bretagne, les amateurs de � Vedutti � devaient se contenter de satisfaire leur curiosit� tout en �toffant leurs collections en commandant des vues de leur propre pays. En r�alit�, ces productions grav�es presque toutes en noir et blanc, � partir d'maroonrelles, n'avaient rien, dans le cas de Turner, de simple vues topographiques, car tout le romantisme de l'artiste s'y exprimait d�j�. De plus, elles �taient tr�s populaires au d�but du si�cle, comme l'�taient toujours les gravures, lucratives pour leur auteur et �ducatives pour le public. Ce sont d'abord 39 vues � pittoresques � group�es par r�gion (C�te Sud, Pays de Galles etc.), grav�es par Cooke et Heath, petits et moyens formats repr�sentant rivi�res, ports (Douvre), ch�teaux, la villa de Pope, l'incendie des Maisons du Parlement. Certaines sont parfois de v�ritables pr�figurations des grandes �uvres. Viennent ensuite des sujets particuliers par le choix et la mani�re dont ils sont interpr�t�s, comme les fameuses ruines d'abbayes si ch�res aux Romantiques. Une � vue � des pierres droites de Stonehenge sous l'orage est ici plus imagin�e que rendue avec pr�cision. Puis appara�t aussi la vision, � laquelle on ne s'attend gu�re, d'une Angleterre en pleine r�volution industrielle. Ne serait-elle que pittoresque ?

Le mat�riel des graveurs et un certain nombre de plaques de cuivre qui ont servi sont pr�sent�s dans les vitrines.

 

Annie Dubernard-Laurent

  Derniers jours : La Passion du dessin collection Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski

Mus�e Jacquemart-Andr�, 158, boulevard Haussmann (Paris), jusqu'au 30 juin 2002.

La collection de Jan et Marie-Anne Krugier-Poniatowski r�unit plus de 500 dessins du xve au xxe si�cle au sein de laquelle figurent les plus grands noms. Comme beaucoup d'expositions de collection priv�e, il ne faut pas y chercher une coh�rence particuli�re. Il ne s'agit pas ici, malgr� ce qui est sugg�r�, d'�tablir une d�monstration, de proc�der � une recherche particuli�re ou � la reconstruction pr�cise d'une histoire du dessin. L'int�r�t de cette exposition est de r�unir une s�lection d'un peu plus de 150 dessins (la notion �tant tr�s extensive, allant du fusain � l'maroonrelle en passant par l'encre) dont quelques petits chefs-d'�uvre. Quelques moments d'�motion, donc, devant un lavis de Callot, un dessin � la plume de Rembrandt, une �tude de visage de Picasso...

Pour ce qui est du xixe si�cle, tr�s bien repr�sent�, surtout par des artistes fran�ais, des groupes d'�uvres remarquables d'Ingres (dont Trois �tudes pour la figure de Stratonice d'une gr�ce charmante), Delacroix (dont un Lion d�vorant un cheval), G�ricault (une �tude pour le Radeau de la M�duse), Degas (un tr�s �mouvant jeu de lumi�re dans le Portrait de Mme Ernest May), C�zanne, etc.

Ce type de collection d'amateurs, forc�ment quelque peu h�t�rog�ne, d�joue la monotonie et offre la possibilit� d'une visite pleine de surprises, en passant d'un si�cle � l'autre, d'un style � l'autre, de Goya � Turner, de Rodin � Van Gogh. On est saisi, par exemple, devant un Mendiant hindou de Seurat tout � fait bouleversant.

Bien s�r, chez de nombreux artistes pour qui le dessin �tait une phase d'�tude, les dessins pr�sent�s ici offrent un int�r�t documentaire quant � la technique d'�laboration de leurs �uvres ou leur recherche esth�tique. Ainsi, un Groupe d'arbres sur des rochers, � la plume et encre noire sur papier calque de Rodolphe Bresdin, montre combien le travail sur le contraste entre l'ombre et la lumi�re �tait important pour ce graveur dont on a d�couvert l'�uvre tr�s originale lors de la r�cente exposition � la Biblioth�que nationale.

Le livret de visite est pratique et comporte un petit lexique des techniques et proc�d�s. Tr�s bon catalogue (dir. N. Sainte Fare Garnot, conservateur du mus�e Jacquemart-Andr� et commissaire de l'exposition), 400 pages, 180 illustrations pleine page en couleur, 30 en noir et blanc, �dit� par le mus�e (57 E).

  Louis-Claude Malbranche, peintre de neige

Biblioth�que-mus�e Paul-Marmottan (Boulogne-Billancourt), jusqu'au 22 juin 2002.

Louis-Claude Malbranche (1790-1838) �tait un paysagiste tr�s populaire dans les ann�es 1810-1820. Sp�cialiste des paysages hivernaux et des sc�nes de genre, son style quelque peu na�f s'inspire des peintres flamands et hollandais que les romantiques red�couvraient � cette �poque. Il t�moigne ainsi du renouvellement dans la conception du paysage et de la r�interpr�tation du tableau de genre qui lui sont contemporains. Malgr� une r�elle subtilit� dans le coloris et de spectaculaires effets de lumi�re, on n'y retrouve pas la verve de Breughel l'ancien, autre sp�cialiste des sc�nes hivernales dont Malbranche s'est sans doute inspir�. Ce � petit ma�tre �, appr�ci� de Louis-Philippe et de Paul Marmottan, est repr�sentatif d'une mode dans le go�t bourgeois de la Restauration et de la monarchie de Juillet.

La biblioth�que-mus�e Paul-Marmottan expose, en collaboration avec le mus�e des Beaux-Arts de Caen, une quarantaine de ses toiles. Une telle exposition est un coup de sonde dans une production artistique qui peut au moins int�resser d'un point de vue sociologique. En effet, si l'esth�tique de Malbranche repose beaucoup sur des proc�d�s, sur l'exploitation syst�matique et r�p�titive de certains motifs, elle n'en a pas moins une importance historique dans la mesure o� elle fut au go�t du jour et reconnue par les institutions au moins jusque dans les ann�es 1830. De ce point de vue, c'est une illustration des d�rives mi�vres du premier romantisme et qui explique parfaitement la connotation p�jorative que prend parfois l'adjectif � romantique � dans la langue courante. Bien pr�sent�s, ces tableaux sont plaisants, l'exposition tr�s agr�able et le catalogue bien fait.

Catalogue : Louis-Claude Malbranche, 1790-1838, dir. S. Javel (16 E).

Site du mus�e de Caen :   http ://www.ville-caen.fr/Arts/Musees/mba/malbranche/index.htm

  La photographie et le r�ve am�ricain de 1840 � 1940

Patrimoine photographique, H�tel de Sully, jusqu'au 16 juin 2002.

Le titre dit assez qu'il ne s'agit pas d'un reportage documentaire et r�aliste ou encore d'une recherche historique : l'objet, ou plut�t le th�me de cette exposition est un mythe, une construction id�ologique, ce que les commissaires ont appel� le � r�ve am�ricain �. L'ambigu�t� tient � ce qu'il n'est pas dit assez clairement si ce r�ve doit �tre consid�r� comme une chim�re ou une r�alit� advenue. Le mythe est expos�, relay�, sans �tre d�mystifi�. Ainsi, le brassage ethnique, l'esprit pionnier, la libert� d'entreprendre, l'accession � la priorit�, les luttes pour l'�galit�, la promotion des valeurs de libert�, la libre immigration, la cr�ativit� des inventeurs et tous les th�mes du mythe national (nationaliste ?) sont mentionn�s. Certes, quelques photos �voquent discr�tement le travail des enfants, les � sweat-shops �, les groupuscules racistes, mais ce ne sont l� que de subtiles nuances.

La structuration du parcours autour de six th�mes est convaincante en ce qu'elle cerne effectivement les th�matiques du mythe : � Identit�s am�ricaines �, � Tous les hommes naissent �gaux �, � Capables de vaincre des montagnes �, � Fabriquer le r�ve �, � Nouvelles fronti�res �, � La Ville prosp�re �. La coh�rence du propos est donc forte et la diversit� des documents, tant technique (pour des photographies allant des daguerr�otypes de 1840 � des tirages de 1940) que th�matique, est bien ma�tris�e. Tout ici t�moigne de � la grandeur d'un pays porteur de puissantes aspirations �.

Pour donner le ton, une r�f�rence litt�raire sur un panneau de commentaire : � Franc, courageux, cordial, accueillant et suspicieux : Charles Dickens donnait en 1842 cette d�finition du peuple am�ricain, qui loin d'�tre r�ductrice, brosse une esquisse honn�te d'un caract�re national. � La notion de � caract�re national � peut surprendre, voire choquer, et il faut alors faire la part de l'enthousiasme patriotique � l'�uvre dans cette exposition. Bien s�r, lorsque le propri�taire de la collection lui-m�me (M. Stephen White) est commissaire de l'exposition, l'amateur de belles photos (et il y a assur�ment des clich�s magnifiques) prend quelque peu le pas sur le scientifique.

La confusion des genres est d'ailleurs le probl�me de la plupart des expositions de photographies : l'angle d'approche esth�tique le dispute � la valeur documentaire et il n'est pas ais� de trouver un mode de pr�sentation qui mette en valeur les deux aspects de la photographie.

En revanche, en m�lant des clich�s de ma�tres tels que Muybridge, Stieglitz, Abbott, Steichen et Outerbridge � la photographie � vernaculaire �, comm�morative, journalistique ou encore publicitaire, cette collection procure aussi bien l'�motion des clich�s souvenirs anonymes que le plaisir esth�tique des exp�riences pictorialistes ou encore l'int�r�t documentaire de l'utilisation politique de ce medium.

Commissaires de l'exposition : St. White et A. Bl�hm, directeur des expositions au mus�e Van Gogh (Amsterdam).

Catalogue : La photographie et le r�ve am�ricain, 1840-1940, �ditions Marval, textes d'A. Bl�hm et St. White, 220 pages, 200 photos (55 E).

http://www.patrimoine-photo.org/dhtml-fr/actu/expositions/reve-americain/index

  Gustave Le Gray, photographe (1820-1884)

Biblioth�que nationale de France (site Richelieu), jusqu'au 16 juin 2002.

C'est � la fois une �tude du style et de la technique d'un ma�tre de la photographie et un parcours biographique qui est pr�sent�. C'est ce qui conf�re � cette exposition son c�t� tr�s vivant, �tant donn� l'existence �minemment romanesque du personnage. Le Gray voulait faire de la photographie un art � part enti�re et non seulement une technique industrielle et commerciale ainsi, sa vie est repr�sentative de la qu�te d'une reconnaissance pour ce medium dont le statut fut si controvers� au xixe si�cle.

Peintre de formation comme la plupart de ses pairs, ce qui fait le g�nie de Le Gray est probablement d'avoir adjoint au regard du peintre sa grande ma�trise et sa cr�ativit� technique : il invente le n�gatif sur papier cir� sec et le n�gatif sur verre au collodion, r�dige un trait� de photographie, atteint une habilet� rare pour l'�poque dans les tirages de grand format, le montage de n�gatifs - notamment les ciels rajout�s qui lui permettent d'obtenir des effets de nuages aux lumi�res surnaturelles.

Ce sont des commandes officielles puis priv�es qui font sa fortune. La mission h�liographique de 1851 est une occasion r�v�e pour exp�rimenter ses techniques et travailler l'esth�tique de ses prises de vue. Le clo�tre de l'abbatiale, � Moissac, est exemplaire : la recherche esth�tique prend ici nettement le pas sur la pr�cision documentaire - tout l'effet du clich� r�side dans le jeu de lumi�re. Le photographe �crit d'ailleurs, allant � l'encontre du pr�jug� r�aliste qui p�sera longtemps sur l'appr�ciation de la photographie, que le � sacrifice de certains d�tails � est n�cessaire. Ainsi, m�me si cette technique est utilis�e pour sa pr�cision de repr�sentation, la technique est d'embl�e mise au service de l'art. Plus tard, Baalbek et Karnak fourniront de nouveaux th�mes monumentaux, lorsque Le Gray voyagera en �gypte.

C'est au cours d'une croisi�re en compagnie d'Alexandre Dumas qu'il fait escale � Palerme, en pleine insurrection. L�, il fait le portrait de Garibaldi qui a tant de prestance en m�me temps que de d�contraction qu'il fait irr�sistiblement penser � certains portraits de Che Guevara ! Les ruines de Palerme sont peut-�tre un des premiers reportages de guerre en tous cas il s'en d�gage la m�me �motion que devant les clich�s des ruines de Dunkerque ou de Sarajevo.

Les �tudes de personnages pittoresques, comme les quelques musiciens italiens, rappellent des pratiques directement adapt�es de la peinture et l'on sent, devant ses superbes marines, que le photographe est anim� du d�sir d'�galer la peinture, de vaincre certains m�pris. Mais il est aussi patent que la grande r�ussite de la photographie ne se mesure pas tant � ses r�alisations pictorialistes qu'� l'influence qu'elle aura ind�niablement sur les d�veloppements ult�rieurs de la peinture, et notamment l'impressionnisme.

L'exposition s'ach�ve sur des �uvres d'�l�ves de Le Gray. Celui-ci a en effet initi� la g�n�ration suivante dans son atelier, en m�me qu'une �lite sociale et culturelle dont la photographie �tait le loisir � la mode. Parmi les disciples qui �galent, voire d�passent le ma�tre, Le Dien offre quelques vues superbes.

Catalogue : Gustave Le Gray. 1820-1884, dir. S. Aubenas, co�dition BNF/Gallimard, 2002, 416 p., 350 illustrations, 69,95 E.

Livret : Le Gray, l'�il d'or de la photographie, S. Aubenas, coll. � D�couvertes Gallimard � hors-s�rie, co�dition BNF/Gallimard, 2002, 48 p., 63 illustrations, 7,50 E. Victor Hugo, l'homme oc�an

Biblioth�que nationale de France, jusqu'au 23 juin 2002.

Hugo fut le premier �crivain � l�guer la totalit� de ses manuscrits et papiers divers � la Biblioth�que nationale. Ce legs extraordinaire r�clamait une exposition qui le m�t en valeur et rend�t hommage � un donateur non moins extraordinaire. C'est ce qui explique que l'exposition soit essentiellement constitu�e de manuscrits et de dessins. Le talent graphique de Hugo est d�sormais bien connu et ce sont ici surtout des �uvres autour de la th�matique marine qui sont r�unies : la m�taphore de l'homme oc�an, l'abondance de la production graphique pendant l'exil et l'importance des Travailleurs de la mer au sein de son �uvre litt�raire sont autant de justifications de cette s�lection.

L'� homme oc�an �, selon Hugo, c'�tait Shakespeare. Mais il est �vident que cela s'applique aussi bien � l'auteur de cette image lui-m�me. La temp�te est la m�taphore romantique tout trouv�e pour sa destin�e. Le monstre marin, la pieuvre, est le d�fi lanc� � l'homme, l'�le de l'exil est la mat�rialisation de la solitude du g�nie... On pourrait broder � l'infini tant Hugo lui-m�me a tiss� un r�seau d'images d'une grande coh�rence autour du th�me oc�anique. Ici encore, il a lui-m�me contribu� � l'�criture de sa l�gende. Et de ce fait, l'exposition passe ais�ment de la biographie � l'�uvre, de l'�uvre � la politique, et tout est mis en r�sonance.

M�me l'abondance des manuscrits, souvent difficiles � mettre en valeur, trouve ici une solution �l�gante et agr�able : un bo�tier audioguide permet � chaque visiteur d'�couter une lecture de certains manuscrits. Non seulement cela aide grandement � leur d�chiffrage mais cela leur donne vie. On a quasiment l'impression de les voir s'�crire sous nos yeux et un po�me comme Demain d�s l'aube... est ainsi interpr�t� avec beaucoup d'�motion.

Int�ressante et agr�able � suivre, l'exposition l'est �galement par la place accord�e � la cr�ativit� graphique de l'artiste. Ses exp�rimentations de proc�d�s de dessin � l'encre, au pochoir, ses m�langes de techniques, ses notations fantasques ou fantastiques sont d'une diversit� et d'une originalit� toujours surprenante. � tel point que la tentation est grande de voir partout des � pr�figurations � du surr�alisme... On ne pr�te qu'aux riches, certes, et le talent de Hugo lui vaut une reconnaissance r�ellement sans limites !

De cette reconnaissance t�moignent encore les entretiens pr�sent�s par des bornes audiovisuelles. Diverses personnalit�s, dont M. Ragon, R. Badinter et M. Winock, font part de leur compr�hension ou de leur appr�ciation d'un aspect de l'�uvre du � grand homme �. Ceci concourt encore � rendre l'exposition r�ellement accessible et int�ressante pour un tr�s large public.

Livre-catalogue : Sous la direction de M.-L. Pr�vost. Avec des textes de M. Agulhon, G. Antoine, R. Badinter, M. Crouzet, D. Gasiglia-Laster, J. Gaudon, J.-C. Trichet. 368 pages, 300 illustrations. Co�dition BNF Seuil. 55 E.

Cahier de l'exposition : 64 p., BNF, 5 E.

Site de l'exposition : http://victorhugo.bnf.fr/ (Un mod�le du genre !) En cours et � venir :

  Ingres, les cartons de vitraux des collections du Louvre

Mus�e du Louvre, aile Sully, 1er �tage, salle de la Chapelle, du 24 mai au 23 septembre 2002.

En 1842, Ferdinand, fils a�n� de Louis-Philippe d�c�de subitement. Une chapelle lui est d�di�e et les cartons de ses vitraux sont command�s � Ingres, d�j� tr�s appr�ci� de la famille royale. La s�rie de quatorze saints, dont certains ont le visage des membres de la famille d'Orl�ans, constitue une sorte d'hagiographie officielle dans le go�t � m�di�visant � et n�o-gothique de l'�poque (Viollet-le-Duc dessinera par ailleurs les chapiteaux pour une autre s�rie de vitraux dessin�s par Ingres et destin�s � la basilique de Dreux).

Devant ces toiles d'un genre inaccoutum�, ni encore vitrail ni tout � fait peinture, on se pose n�cessairement la question du statut des cartons : �uvres � part enti�re ou simples documents ? Et si ce ne sont que des traces d'une phase de l'�laboration des vitraux, ces derniers doivent-ils �tre consid�r�s comme l'�uvre d'Ingres ? Le peintre a �t� lui-m�me, ce qui est assez peu courant, � la fois inventeur et cartonnier pour ce projet. Il avait peut-�tre particuli�rement � c�ur pour des raisons affectives, politiques - ou pourquoi pas par opportunisme ? - de s'impliquer tout particuli�rement dans cette commande.

Il est en tous cas quelque peu �tonnant de voir un artiste s'investir dans un type de pratique qui le dessaisit dans une certaine mesure de sa production. C'est un des probl�mes que pose les arts � allographiques �. En l'occurrence, la virtuosit� technique de la manufacture de S�vres, qui sut retrouver les proc�d�s du vitrail et innover dans sa chimie, servit au mieux le peintre.

Reste que devant les cartons, r�alis�s � l'huile sur toile avec des couleurs tr�s lumineuses (qui peuvent faire croire � de l'maroonrelle) ex�cut�s visiblement tr�s rapidement et avec beaucoup de libert� par Ingres, on peut se demander s'il s'agit du m�me type d'objet que ses toiles, ses portraits surtout. Ce genre particulier lui permettait (mieux qu'� un Delacroix, qui r�alisa aussi des cartons � la m�me �poque) d'exprimer son go�t pour les personnages hi�ratiques, les poses solennelles et les figures stylis�es, puisant � la fois aux sources du classicisme et de l'art m�di�val du vitrail. C'est sans doute la rencontre de ces deux influences qui fait le charme de ces cartons et explique le naturel avec lequel le peintre semble s'�tre pli� � l'exercice.

Quoi qu'il en soit, cette exposition est assur�ment d'une grande qualit� scientifique - le catalogue minutieux et fourni t�moigne de ce travail - et sert la connaissance d'un aspect m�connu de l'�uvre d'Ingres. Elle s'adresse donc plut�t aux connaisseurs qu'aux amateurs qui n'y retrouveront pas vraiment le portraitiste c�l�bre.

Commissaire de l'exposition : J. Foucart.

Catalogue par J. Foucart, �ditions R�union des mus�es nationaux, 140 p., 23 E.

http://www.louvre.fr/francais/presse/actu/expos/ingres.pdf La Belle �poque de la pub (1850-1920)

Mus�e de la publicit�, jusqu'au 15 septembre 2002.

La collection d'affiches du mus�e de la publicit� est remarquable et c'est essentiellement sur elle que repose cette exposition. La grande majorit� des affiches du second xixe si�cle sont r�alis�es en impression lithographique, en noir, puis en couleurs. C'est pourquoi le parcours d�bute par une explication extr�mement claire et pr�cise du proc�d� lithographique. Des informations sont donn�es �galement quant au contexte historique elles vulgarisent les donn�es essentielles en les simplifiant beaucoup.

Sur cet arri�re-fond se distinguent quelques grandes figures d'artistes qui furent selon le cas principalement ou anecdotiquement affichistes : Mucha, Steinlen, Jules Ch�ret, Bonnard, Eug�ne Grasset, Toulouse-Lautrec, Manet... Ceux-ci et bien d'autres illustrent par leurs productions les th�mes qui rythment le parcours : � La lithographie �, � Introduction, la belle �poque de la publicit� �, � La situation de la presse �, � La guerre des crayons �, � La marque et la naissance de quelques empires �, � La vie parisienne �, � Les d�buts de la soci�t� de consommation �. La salle sur � Les courants artistiques de la publicit� � travers l'image de la femme � met en �vidence que l'utilisation (l'abus ?) de l'image f�minine en publicit� n'est pas un ph�nom�ne r�cent. Que ce soit le fait du go�t des artistes ou d'une efficacit� commerciale �prouv�e, la sensualit� de la femme est privil�gi�e dans la pr�sentation de nombreux produits qui n'ont pas forc�ment de lien patent � la f�minit�. Les nymphes de Mucha peuvent vanter toutes sortes de produits ou manifestations et la magnifique cycliste de Steinlen n'est qu'une des nombreuses � cr�atures � faisant l'article pour une bicyclette ! De la femme qui se vend � la femme qui fait vendre, une continuit� imaginaire et insidieuse se laisse peut-�tre deviner, selon le temp�rament de chacun.

Les strat�gies mercantiles se diversifient pourtant, et la croissance de la presse, des journaux et revues sp�cialis�es, permettent aux annonceurs de cibler leur public. C'est dans ce contexte que sont recycl�es des imageries parfois mill�naires. En effet, le mythologie greco-romaine, les r�f�rences bibliques ou encore la litt�rature et l'histoire sont mises � contribution pour susciter la reconnaissance, la complicit� du consommateur. Les clich�s peuvent para�tre grossiers ou na�fs, plus d'un si�cle plus tard. Mais le sont-ils moins dans la publicit� contemporaine ?

L'imagerie qui se d�veloppe recouvre donc les murs de la ville et cr�e elle-m�me de nouvelles r�f�rences. C'est tout une mythologie commerciale dont le panth�on loge les grandes marques qui vont �tre durablement associ�es aux objets de la vie quotidienne et entrer ainsi dans l'histoire mat�rielle de la soci�t� de consommation : Lef�vre-Utile, Menier, Maggi, Michelin et son � Munch est bibendum... � tout droit venu d'Horace...

Le jeu est �tabli entre �uvres d'art et publicit�s, la distinction est floue entre artistes-peintres et affichistes, les liens de Steinlen avec Zola am�nent presque l'id�e d'une publicit� naturaliste. Engagement et publicit� se rejoignent dans la recherche d'une efficacit� sur le public. Enfin, une r�flexion est n�cessaire sur la nature des �uvres expos�es. Car ces affiches ne sont plus coll�es sur les murs mais accroch�es sous verre, ce qui est l'indice de leur changement de statut. Elles ne suscitent plus l'envie d'acheter, mais l'appr�ciation esth�tique. La Belle �poque de la pub fournit donc l'occasion de s'interroger sur la nature du regard esth�tique et la labilit� du statut des �uvres. La r�flexion est d'autant plus agr�able d'ailleurs que de profondes banquettes permettent de profiter confortablement des montages vid�os qui accompagnent chaque th�matique.

Commissaire de l'exposition : R. Bargiel, conservateur du mus�e de la Publicit�.

 

  Ma�tre Rodin � Prague

Mus�e Rodin, du 9 juillet au 14 octobre 2002.

  Les Marbres grecs et romains de la collection Rodin

Mus�e Rodin, du 15 octobre 2002 au 19 janvier 2003.

 

  Manet-V�lasquez

Mus�e d'Orsay, du 18 septembre 2002 au 6 janvier 2003.

Ce ne sont pas seulement ces deux artistes mais aussi d'autres grands peintres du Si�cle d'Or espagnol (Murillo, Ribera, Le Greco et Zurbar�n) et les fran�ais qu'ils influenc�rent au xixe si�cle (Delacroix, Courbet, Millet, Degas et surtout Manet) qui seront repr�sent�s dans cette exposition. Son argument historique est du plus haut int�r�t : les conqu�tes napol�oniennes ont ramen� un grand nombre d'�uvres de toutes provenances dans les premi�res ann�es du si�cle, ce qui a eu des r�percussions importantes sur la plupart des peintres du xixe si�cle. La peinture espagnole a notamment inspir� des po�tes (Bertrand, Gautier, Baudelaire...) mais aussi des peintres. La mise en �vidence des influences des uns sur les autres, et tout particuli�rement de V�lasquez sur Manet promet donc d'�tre riche et spectaculaire.

 

  M�li�s : magie et cin�ma

Espace EDF-Electra, jusqu'au 31 ao�t 2002.

Au tournant du si�cle, M�li�s (1861-1938) a transform� le paysage visuel en y introduisant le mouvement. Une merveilleuse exposition au tour du Voyage dans la Lune o� la technique cherche � faire croire � la magie, aid�e par une excellente sc�nographie.

Catalogue : M�li�s, magie et cin�ma, dir. J. Malth�te et L. Mannoni, �ditions Paris-Mus�es, 300 p., ill. � Elles � de Montparnasse

Le Chemin du Montparnasse, jusqu'au 1er septembre 2002.

Tr�s belle exposition sur les femmes artistes ou d'artistes, les muses, actrices, mod�les ou encore chanteuses � Montparnasse depuis l'�poque romantique jusqu'aux ann�es vingt. Une perspective f�minine inhabituelle et rafra�chissante dans un pays o� les � gender studies � sont quasiment inexistantes.

Commissaire : S. Buisson. Th�odore Chass�riau (1819-1856), un autre romantisme

Mus�e des Beaux-Arts de Strasbourg, du 19 juin au 21 septembre 2002.

� New-York du 21 octobre 2002 au 5 janvier 2003.

L'exposition du Grand Palais se d�place � Strasbourg puis � New-York. On pourra y red�couvrir ce grand peintre pourtant m�connu. Sa position est atypique et ne se d�finit pas selon les oppositions habituelles entre partisans de la couleur ou du dessin, Ingres ou Delacroix... Profond�ment original, repr�sentant d'aspects tr�s attachants du romantisme comme l'orientalisme, cette r��valuation de son r�le dans l'histoire esth�tique du xixe si�cle fait de cette exposition un �v�nement majeur de l'ann�e.

Commissariat g�n�ral : pour les peintures, V. Pomar�de et St. Gu�gan, pour les dessins et les gravures, L.-A. Prat. Commissaire adjoint : Br. Chenique.

Catalogue : Chass�riau, un autre romantisme, �ditions RMN, 440 pages environ, 280 illustrations en couleur, 45 E.

  Constantin Guys

Mus�e de la vie romantique, du 8 octobre 2002 au 5 janvier 2003.

Pour le bicentenaire de celui que Baudelaire appelait le � peintre de la vie moderne � (1802-1892), une s�lection de dessins sera pr�sent�e provenant des collections des mus�es de la Ville de Paris.

  Constable

Galeries nationales du Grand Palais, du 10 octobre 2002 au 13 janvier 2003.

 

Bicentenaire de Victor Hugo

En cette ann�e de bicentenaire de la naissance de Victor Hugo, d'innombrables manifestations sont consacr�es au � grand homme �. De l'hagiographie officielle � la recherche scientifique la plus pointue, toutes les tendances sont repr�sent�es et mettent en �vidence la tension entre deux aspects de la comm�moration : relancer l'investigation et en divulguer les r�sultats, mais aussi construire un mythe et forger une figure consensuelle de h�ros national. Ainsi, outre la monumentale exposition de la Biblioth�que nationale et de nombreux autres lieux recens�s sur une page internet consacr�e au bicentenaire (http://www.victorhugo.culture.fr/), on peut visiter : Voir des �toiles. Le th��tre de Victor Hugo mis en sc�ne

Maison de Victor Hugo, jusqu'au 28 juillet 2002.

Ce qui frappe � chaque fois, c'est le formidable coup de crayon de celui que l'on consid�re avant tout comme un �crivain. Jusque dans les croquis de sc�ne des manuscrits de ses pi�ces, Hugo fait preuve d'une imagination aussi bien visuelle que verbale. Cette implication du dramaturge dans la dimension spectaculaire de son art est caract�ristique d'une conception du th��tre comme spectacle s'adressant � tous, car touchant toutes les facult�s du spectateur. C'est ce que tendent � montrer les documents expos�s dans les premi�res vitrines. Et il faut bien dire que si le talent graphique de Hugo leur donne beaucoup d'attrait � ces vitrines, un �talage de manuscrits est souvent ingrat tant le d�chiffrement en est fastidieux. Il faut probablement consid�rer ces traces mat�rielles de l'existence de Hugo comme autant d'indices qui procurent au visiteur le sentiment de p�n�trer dans l'intimit� d'un grand homme. Ce sentiment est fr�quent � la lecture des manuscrits, et en particulier de la correspondance, mais ici, dans la Maison de Victor Hugo, il est exploit� � fond : une des vis�es de l'exposition est celle du mus�e lui-m�me, c'est de comm�morer et rendre hommage � un homme. Faire ressentir sa pr�sence, son actualit�, sa � modernit� �, c'est aussi en reconstruire une image anachronique, voire mythique.

Le culte de la personnalit� n'est donc jamais tr�s �loign� de l'enqu�te biographique mais celle-ci se fonde sur une recherche extr�mement s�rieuse et fouill�e. Les documents qui sont plut�t des support de fixation affective pour le profane sont aussi objets d'investigation pour le sp�cialiste. Ainsi, un travail exceptionnel a �t� r�alis� sur la r�ception des pi�ces de Hugo. On sait le scandale que suscit�rent certaines d'entre elles, comment elles subirent la censure et que la � bataille d'Hernani � resta un �v�nement majeur de l'histoire du romantisme. Tout ce battage est ici restitu� et expliqu�.

Ainsi, dans l'ordre de leur cr�ation, Amy Robsart, Hernani, Marion de Lorme, Le Roi s'amuse, Lucr�ce Borgia, Marie Tudor, Angelo tyran de Padoue, Ruy Blas et Les Burgraves sont pr�sent�s au travers des r�actions de la presse, de nombreuses caricatures, des com�diens en vue, de la cr�ation des costumes ou encore des d�cors. Ces deux derniers aspects repr�sentent une part importante de l'exposition. Les maquettes de Boulanger, Chatillon, Delacroix, Ciceri, S�chan et quelques autres donnent une id�e du luxe et de la complexit� des dispositifs sc�niques romantiques. Et ans la mesure o� l'art � mineur � du d�cor fut pratiqu� par des grands noms de la peinture de l'�poque, on se demande si le d�cor de th��tre peut �tre consid�r� comme un genre � part enti�re. Sa fonction est subalterne dans la cr�ation dramatique, mais l'exposition, et en particulier les affiches ou les publicit�s de presse montrent bien que l'aspect spectaculaire devient le principal argument commercial de la promotion des pi�ces. L'�poque est celle des � tableaux dramatiques �, v�ritables compositions de la sc�ne suivant des mod�les picturaux. C'est �galement par ce biais qu'on peut � exposer � quelque chose sur le th��tre de Victor Hugo.

Le titre le dit bien, le th��tre est pr�cis�ment ce qui se met en sc�ne, et une comm�moration op�re une sorte de mise en sc�ne au second degr�. Porter un regard r�trospectif sur les mises en sc�ne, et rechercher une continuit� jusqu'aux interpr�tations contemporaines, conduit � montrer que le th��tre est un art anachronique par excellence : chaque �poque s'approprie le texte et chaque �poque a alors l'impression de s'approprier l'auteur. Le TNP fut incontestablement le lieu par excellence de reviviscence d'un th��tre populaire, et rejoint en cela une id�e hugolienne. Aussi semble-t-il presque naturel de lire que � Hugo r�vait, un si�cle avant Vilar, d'un th��tre pour tous, sans distinction de classes. � Mais Hugo n'est pas Vilar, et la pr�face de Cromwell ne conna�t pas la notion de � classe �. Vertiges de l'anachronisme, donc, m�me si les rapprochements sont effectivement �vocateurs.

Outre quelques metteurs en sc�nes (Jean Vilar, Antoine Vitez, Jean-Louis Barrault, Raymond Rouleau) une certaine place est faite aux interpr�tes ce qui est justice, tant certains marqu�rent de leur personnalit� la r�ception d'un personnage. Ainsi l'�quation Ruy Blas/G�rard Philippe est pass�e � la post�rit� et en sens inverse, les grands r�les ont aussi fait les grands com�diens, de Fr�d�rick Lema�tre et Jean Mounet-Sully � Maria Casar�s en passant par l'incontournable Sarah Bernhardt. De tr�s belles photographies de spectacles, dans les derni�res salles, saisissent le com�dien au plus fort de sa performance et traduisent l'efficacit� du spectacle, comme la s�rie de clich�s par Claude Bricage de Redjep Mitrovitsa en Don Carlos, dans Hernani en 1985 au Th��tre national de Chaillot.

C'est d'ailleurs la sc�nographie de la derni�re partie de l'exposition, sign�e Yannis Kokkos, qui restitue au th��tre toute sa dimension spectaculaire. Elle respecte ainsi l'�uvre de Hugo en visant � la rendre accessible et attrayante au plus grand nombre. S'ajoutent enfin quelques entretiens film�s pour la circonstance et recueillis par Jean-Claude Carri�re avec les metteurs en sc�ne Anne Delb�e, Brigitte Jaques, Arlette T�phany, Robert Hossein, Bernard Jenny, Denis Llorca, Ren� Loyon et Jacques Rosner.

Le catalogue, riche et vari�, comporte des articles d'Y. Gohin, N. Guibert, A. Laster, Fl. Naugrette, C. Treilhou-Ballaude, A. Ubersfeld, J.-Cl. Yon, biographies par D. Gasiglia-Laster des grands interpr�tes que Victor Hugo connut, de d�corateurs et de directeurs de th��tres du xixe si�cle, extraits d'entretiens, 650 notices, 400 reproductions, �ditions Paris-Mus�es/Acte sud, 54 E.

http://www.paris-france.org/musees/Maison_de_Victor_Hugo/etoiles/default.htm

� noter, une exposition � autour � de Victor Hugo : Aubes. R�veries autour de Victor Hugo

Maison de Victor Hugo, 17 octobre 2002 au 26 janvier 2003.

Carte blanche � Harald Szeemann, historien de l'art, qui mettra en relation des dessins de Hugo et des �uvres du xxe si�cle. Victor Hugo racont� par la caricature

Maison de Balzac, jusqu'au 1er septembre 2002.

L'angle d'approche choisi, parmi le fourmillement de manifestations toutes plus consensuelles les unes que les autres sur Hugo, fait esp�rer un �clairage discordant. Et de fait le talent et la verve de Cham, Daumier, Dor�, Gill, Grandville, Nadar et quelques autres mettent � bas de son pi�destal le grand homme. Pourtant, les critiques acerbes qui sont dirig�es contre lui (surtout avant l'exil) ne paraissent pas forc�ment plus libres ou originales que ses �loges : c'est l� la faiblesse de la caricature, elle n'argumente pas mais le plus souvent brocarde � la l�g�re en se ralliant aux lieux communs. Et l'on sent bien que d�s les ann�es trente, c'est la popularit� de Hugo qui d�range. Sa gloire est encombrante, voire envahissante et fait de l'ombre aussi bien � ses rivaux qu'� ses suiveurs. Le fait est qu'il semble assez conscient de sa valeur et peut-�tre m�me se sent-il investi d'une mission, esth�tique et politique, qui le place hors du commun des hommes. Ce qui fait la particularit� de la l�gende hugolienne, et ce qui irrite ses d�tracteurs, c'est probablement qu'elle s'est construite de son vivant. Un ego surdimensionn� a trouv� sa place et son public tout naturellement, et les charges des caricaturistes sont proportionnelles � son succ�s.

Outre le visage charismatique du po�te, et notamment son front �largi � l'envi par les crayons fac�tieux, ce sont ses �uvres qui fournissent des motifs pittoresques aux dessinateurs. Notre-Dame de Paris devient ainsi le tr�ne sur lequel H. Meyer fait s'asseoir Hugo. C'est d'ailleurs dans le sens d'une majest� exag�r�e que vont la plupart des charges. Mais cette th�matique va glisser insensiblement de la critique farouche � une sorte de reconnaissance plus consensuelle : d�s le d�but des ann�es 1880 et plus encore � la mort du g�nie, c'est le th�me de l'apoth�ose qui se diffuse - et une apoth�ose au sens strict. Hugo est divinis�, c'est une figure solaire, stellaire, royale et finalement divine. Ainsi, on ne laisse pas de s'�tonner devant la puissance consensuelle du personnage qui n'est donc pas seulement le fait d'une comm�moration officielle. M�me la critique la plus hostile a �t� forc�e de reconna�tre que le xixe si�cle �tait le si�cle de Victor Hugo.

Commissariat : G. Pouchain

Catalogue : Victor Hugo racont� par la caricature, G. Pouchain dir., �ditions Paris-Mus�es, 2002, 92 p., ill. NB et couleurs.

� venir � la Maison de Balzac : Lieux communs au f�minin pluriel, du 11 septembre au 17 novembre 2002, commissaire : J. Raineau.

  EXILIUM VITA EST Victor Hugo � Guernesey

Maison de Victor Hugo � Guernesey, jusqu'au 31 ao�t 2002. Victor Hugo illustr�

Mus�e de l'histoire vivante, jusqu'en novembre 2002.

Auguste Rodin : les portraits de Victor Hugo

Mus�e Rodin, jusqu'au 7 juillet 2002.

 

  Province et �tranger :

(Cette section, extr�mement r�duite pour des raisons de d�lais de r�daction, sera plus d�taill�e dans les prochains num�ros) Acquisition r�cente : un th��tre de colporteurs et ses d�cors (xixe si�cle)

Mus�e de la Cour d'Or, Metz, du 19 juin au 25 ao�t 2002. Bicentenaire d'Auguste Migette

(peintre, d�corateur de th��tre, collectionneur)

Metz, mus�e de la Cour d'Or, du 4 novembre 2002 au 1er f�vrier 2003.

Berthe Morisot (1841-1895)

Palais des Beaux-Arts de Lille, jusqu'au 9 juin 2002.

  Jean-Fran�ois Millet, voyages en Auvergne et Bourbonnais (1866-1868)

Clermont-Ferrand, Mus�e d'art Roger-Quilliot, du 12 juillet au 29 septembre 2002.

  De Corot � Vuillard. Peindre en Normandie

Mus�e des Beaux-Arts de Caen, du 29 juin au 30 septembre 2002.

  On a d�couvert un � nouveau � G�ricault : La vieille italienne

Mus�e Malraux, Le Havre, du 6 juin au 29 juillet 2002.

  L'�cole de Barbizon

Mus�e des Beaux-Arts de Lyon, du 22 juin au 9 septembre 2002.

  Le Mus�e d'Unterlinden de la R�volution � la Premi�re Guerre mondiale

Colmar, mus�e d'Unterlinden, du 30 novembre 2002 au 27 avril 2003.

  Couleurs Maroc : Delacroix et les arts d�coratifs marocains des xviiie et xixesi�cles.

Mus�e des Arts d�coratifs de Bordeaux, du 26 septembre 2002 au 6 janvier 2003. Lo�e Fuller, danseuse de l'art nouveau (1862-1923)

Mus�e de l'�cole de Nancy, jusqu'au 19 ao�t 2002.

  Victor Hugo vu par Rodin

Mus�e des Beaux-Arts et d'Arch�ologie de Besan�on, de septembre 2002 � janvier 2003

Paris, Maison de Victor Hugo en 2003. L'impressionismo e l'et� di Van Gogh. La rivoluzione di un'arte nuova

Tr�vise, Casa dei Carraresi, Fondazione Cassamarca, du 9 novembre 2002 au 30 mars 2003.

  Rencontres � Vienne - Egger - Lienz, Rodin, Meunier, Van Gogh, Segantini, Hodler, Klimt, Schiele.

Lienz, mus�e du ch�teau de Bruck, jusqu'au 3 novembre 2002.

  Auguste Rodin

La Corogne : du 2 juillet au 25 ao�t 2002.

Tarragone : du 21 septembre au 10 novembre 2002

  Bourdelle

Qu�bec, mus�e du Qu�bec, jusqu'au 15 septembre 2002.

 

  Expositions virtuelles :

Certaines expositions b�n�ficient de sites internet tr�s bien faits et qui permettent de se faire une id�e, sinon des �uvres et documents eux-m�mes (partiellement reproduits et au format timbre-poste !) du moins des orientations de l'exposition. � noter en particulier, pour leur qualit� :

 

L'invention du sentiment, aux sources du romantisme :

http://www.cite-musique.fr/francais/index.htm# (Tr�s beau site, tout en technologie � Flash �, et accompagn� de musique, ce qui est rare et ici parfaitement pertinent.)

 

Victor Hugo l'homme oc�an : http://expositions.bnf.fr/hugo/expo.htm

 

Maison de Victor Hugo :

http://www.mairie-paris.fr/musees/Maison_de_Victor_Hugo/# (en construction mais d�j� int�ressant)

Exposition Voir des �toiles :

http://www.parisfrance.org/musees/Maison_de_Victor_Hugo/etoiles/default.htm

 

Victor Hugo racont� par la caricature :

http://www.paris-france.org/musees/Balzac/historique_expositions/hugo/hugo.htm

 

La photographie et le r�ve am�ricain :

http://www.patrimoine-photo.org/dhtml-fr/actu/expositions/reve-americain/index

 

La belle �poque de la pub :

http://www.museedelapub.org/ (Site remarquable pour son graphisme, sa clart�, ses commentaires d�velopp�s et ses reproductions d'affiches dans un format lisible.)

 

Nicolas Wanlin L'invention du sentiment

Cit� de la musique du 2 avril au 30 juin.

L'exposition L'Invention du sentiment s'attache � faire d�couvrir les �volutions artistiques et musicales qui eurent lieu entre 1750 et 1830. Elle fait pendant � celle de l'automne dernier - Figures de la passion -, qui avec la m�me d�marche, �tait consacr�e au xviie si�cle.

La Cit� de la musique b�n�ficie de moyens techniques tr�s modernes qui permettent d'apporter une dimension suppl�mentaire � la pr�sentation d'un sujet ou d'un th�me. Elle offre en effet la possibilit� de multiplier les exp�riences esth�tiques et �motionnelles en combinant d�couverte visuelle et musicale. Le visiteur, munit � d'audio-guides � peut �couter la musique dans des espaces r�serv�s (petites banquettes) qui ne l'excluent cependant pas des �uvres. Ces espaces offrent au contraire un point de vue qui permet de confronter, dans un espace confortable et sans limite de temps, musique et arts plastiques. Ainsi le visiteur peut �couter le lied de Franz Schubert - Erlk�nig [Le Roi des Aulnes] tout en admirant Les Morts vont vite d'Ary Scheffer ou La Ballade de L�nore d'Horace Vernet. Ces trois �uvres ayant pour sujet commun une chevauch�e fantastique et effr�n�e vers la mort. La confrontation entre musique, m�dium temporel, et celui, plus synth�tique, de la peinture offre des sensations �motionnelles nouvelles et propose une possibilit� in�dite de compr�hension du sujet. C'est aussi un moyen de saisir dans son ensemble, c'est-�-dire � travers la connaissance de tous ses moyens d'expression - et donc de toutes ses sensibilit�s -, un moment particulier de l'histoire.

Bien que didactique, cette exposition ne propose pas au visiteur un point de vue unique, celui-ci est libre d'�couter dans l'ordre qu'il veut les morceaux propos�s et de suivre son propre parcours dans l'exposition. Il peut donc constituer ses propres exp�riences en confrontant l'�uvre musicale de son choix � n'importe quelle �uvre plastique les possibilit�s sont nombreuses. Il peut bien s�r regarder les �uvres en silence ou �couter la musique les � yeux ferm�s �. La pr�sentation de grands th�mes comme la sc�ne, le statut de l'artiste (� L'artiste : h�ros et virtuose �), la peinture de paysage (� L'aspiration vers l'infini �) ne sont que des pistes � explorer et en aucun cas des r�ponses d�finitives aux questions soulev�es par l'apparition du sentiment au xviiie si�cle.

C'est cette dimension exp�rimentale qui est � l'origine de l'incontestable qualit� du succ�s des expositions Figures de la passion et L'Invention du sentiment. Cette dimension se poursuit aussi � travers le catalogue qui propose des articles compl�mentaires pr�sentant le r�le de la litt�rature et de la philosophie lors de cette p�riode, soulignant des probl�matiques majeures comme la synesth�sie, le bouleversement de la hi�rarchie des genres dans la peinture et la musique ou la question de la repr�sentation du sentiment dans le th��tre et la peinture.

Int�ressons-nous plus particuli�rement au contenu de l'exposition. Ses moyens techniques lui permettant de proposer des approches multiples, celle-ci se devait toutefois de trouver un � fil conducteur �, un vocable susceptible, sinon de d�finir, de r�unir les diff�rents �v�nements artistiques de cette p�riode. Celui de � sentiment � a �t� choisi en opposition avec celui de � passions � afin de cr�er un lien avec l'exposition pr�c�dente mais aussi de marquer les diff�rences majeures avec elle.

Au milieu du xviiie si�cle, on constate une prise de conscience g�n�rale d'une certaine d�g�n�rescence des arts. Trop affect�s, ils ne sont plus source de v�rit�. On s'int�resse d�sormais davantage � l'expression du sentiment qu'� celle des passions. � partir de ce constat, se d�veloppent plusieurs ph�nom�nes artistiques dont les plus repr�sentatifs constituent les th�mes de l'exposition.

Signalons tout d'abord qu'un th�me majeur nous est distill� en filigrane au fur et � mesure du parcours, c'est celui de l'�mancipation de la musique instrumentale par rapport � la musique vocale et de sa place prise au premier rang des arts.

Le th�me � La rh�torique des larmes et la vertu des h�ros � pr�sente les diff�rents moyens employ�s pour recharger les arts d'une vertu morale perdue. L'antiquit� sert encore de support, cependant on privil�gie les sujets historiques aux sujets mythologiques qui permettent de mieux exprimer des valeurs comme le sens du sacrifice, la douleur contenue par le h�ros (David, Angelika Kaufmann). On retrouve aussi des sujets de sc�nes bourgeoises (Greuze). Toutes ces �uvres nous pr�sentent des personnages qui luttent face � une situation dramatique et qui expriment ainsi de hautes valeurs morales. D'autres valeurs, comme la douceur familiale, sont aussi pr�sent�s avec la peinture de Tischbein, Portrait de Sophie Muller, femme de l'artiste, et de ses deux filles ou les sculptures de Marin : La charit� romaine et �dipe et Antigone. Le sentiment individuel des personnages permettant d'exprimer de hautes valeurs morales vient au secours de la d�g�n�rescence des arts. La musique de Gluck, dans sa recherche de simplicit� et de sinc�rit� r�alise � sa mani�re le m�me projet.

Les figures de Bonaparte (par Gros) et de Nelson (par West), h�ros modernes incarnant les m�mes valeurs que celles de l'antiquit�, permet d'illustrer la richesse de ce moment o� modernit� (illustr�e notamment par le retour au sentiment national � travers l'engouement pour les l�gendes d'Ossian et l'op�ra chant� dans la langue du pays) et antiquit� sont compl�mentaires dans la repr�sentation de ces nouvelles valeurs.

Une remarquable pr�sentation des d�cors d'op�ra et de th��tre ne font que confirmer ce constat o� l'on remarque la disparition progressive des d�cors neutres inspir�s de l'antiquit� pour privil�gier soit des d�cors simples qui laissent mieux s'exprimer le drame (B�langer) soit des d�cors exotiques (Percier, Thibaut et Fontaine) ou pittoresques. (Ciceri) La recherche de pittoresque, d�finitivement encourag�e par la pr�face de Cromwell en 1827, prend une place de plus en plus importante � travers les efforts de Daguerre pour tenter d'�voquer diff�rents ph�nom�nes atmosph�riques comme la temp�te par des jeux de lumi�re.

� De la trag�die au cauchemar �, autre th�me, nous invite � explorer de plus pr�s la red�couverte des traditions nationales � travers les diff�rentes interpr�tations de Shakespeare, Goethe et Byron (F�ssli Cornelius) qui apportent le renouvellement des sujets. Le cauchemar et les sc�nes nocturnes font partie des th�mes r�currents (Goya), on constate aussi une r�introduction plus directe du religieux avec Faust. La forme des �uvres �volue aussi : en musique comme en peinture l'�bauche est privil�gi�e. L'estampe est utilis�e comme expression autonome et les formes musicales comme les �tudes ou les nocturnes se d�veloppent.

En France, on ne d�couvrira que plus tard les litt�ratures anglaises et allemandes, d�sormais vues comme des classiques. Elles n'auront pas pour autant moins d'effet sur des artistes comme Delacroix (pr�sentation des lithographies pour Faust), G�ricault ou bien encore Ary Scheffer et Horace Vernet.

Malgr� le vif d�bat contemporain entre n�o-classiques et romantiques, les sujets antiques sont souvent impr�gn�s de ces nouveaux motifs : par exemple la sc�ne nocturne de Gros avec Sapho � Leucate ou bien un vent de folie presque hyst�rique soufflant sur Ph�dre et Hyppolite de Gu�rin. Attention m�l�e de crainte, sculpture de Fran�ois Rude est habit�e par les m�mes inqui�tudes. Les gravures de John Martin sont proches des effets de sublimes de Turner. La synth�se entre statuaire antique et retour � des effets picturaux plus archa�ques de La mort d'Hyacinthe par Jean Broc illustre tout � fait l'influence sur les artistes d'alors par les deux courants artistiques en conflit.

C'est � travers les figures de Beethoven et Paganini que nous est pr�sent�e un autre ph�nom�ne tout � fait caract�ristique de cette p�riode et li� � la question du sentiment. Il s'agit de la conception de l'artiste comme g�nie. D�passant les limites techniques � humainement � possibles, et provoquant ainsi d'intenses �motions musicales, celui-ci est assimil� � un g�nie et fait l'objet d'un v�ritable culte de la part de ses contemporains. (portraits, dessins et charges, celles-ci t�moignant de la reconnaissance d�finitive du succ�s.)

La derni�re partie de l'exposition, � L'aspiration vers l'infini �, consacr�e essentiellement au rapport de l'homme avec la nature, permet d'�tablir des liens solides entre peinture et musique.

� la fin du xviiie si�cle, les d�bats autour de la question du sublime am�nent les artistes � reconsid�rer le r�le de la nature. La description de ph�nom�nes climatiques extr�mes (La Temp�te de Joseph Vernet ou Marine avec naufrage de Philippe-Jacques de Loutherbourg) ou encore la puissance massive des montagnes (Caspar Wolf, Vue de la Beatush�hle au-dessus du Thunersee) renverse le rapport que l'homme entretenait autrefois avec la nature. Ce nouveau regard am�ne le spectateur � un retour sur lui-m�me, � une humilit� qui l'entra�ne � vouloir fusionner avec la nature. Ce d�sir de fusion est bien illustr� par La M�lancolie de Constance Charpentier ou encore Biblis chang�e en fontaine par Pierre-Henri de Valenciennes. Le paysage sublime, pr�sent� pour lui-m�me, (Vall�e de haute montagne par Carl Gustav Carus Vue de la cascade de Rydal par Joseph Wright of Derby) devient un outil de m�ditation pour le spectateur, un reflet de son �me.

L'entreprise d'autonomie de la musique instrumentale permet d'obtenir le m�me �tat m�ditatif. Les �uvres de compositeurs comme Schubert, Beethoven ou encore Chopin, sont compl�tement lib�r�es de la n�cessit� de repr�sentation, et se consacrent enti�rement � rechercher l'�motion par des moyens uniquement musicaux. C'est par ces moyens qu'elle arrive non plus � signifier des passions mais � exprimer des sentiments. La musique, affranchie de m�diations, se fait aussi miroir de l'�me car elle touche plus directement le c�ur de l'homme, tout comme lorsque le paysage est pr�sent� pour lui-m�me. C'est pourquoi, la musique est d�sormais consid�r�e comme le mod�le de l'ensemble des arts. (voir les hommages des arts plastiques rendus � la musique avec La Musique de Carl Gustav Carus et All�gorie de la musique profane de Caspar David Friedrich.)

Au-del� du nouveau regard, plus �tendu et plus riche, d�velopp� par toutes ces th�matiques, l'exposition L'invention du sentiment invite � reconsid�rer les limites et les conceptions esth�tiques habituellement attribu�es au n�o-classicisme et au romantisme. Et c'est l� l'une des r�v�lations capitales de cette exposition.

� travers la question du sentiment, la p�riode per�ue comme pr�romantique est recentr�e, elle n'est plus une p�riode interm�diaire entre deux mouvements majeurs. C'est ce que rappelle Adrien Goetz dans � �L'acoustique de l'�me, domaine encore obscur� : l'invention du sentiment dans les lettres � : � L'insaisissable moment historique autrefois qualifi� avec condescendance de � pr�romantique �, celui o� cette voix sup�rieure se fait entendre, cette musique inou�e du � sentiment �, deviendrait du coup majeur, plus complexe, et pour tout dire plus int�ressant, que la pr�tendue � r�volution romantique �, - bataille gagn�e depuis longtemps � la date o� les historiens de la litt�rature voulaient qu'elle ait �t� livr�e. � (p.70). L'article de Barth�l�my Jobert (� Romantisme, pr�romantisme, quelques propositions �) s'attache � la m�me probl�matique et �voque ce pr�romantisme comme central parce qu'il fait �clater la hi�rarchie des genres sans rupture : � C'est finalement dans cet �clatement progressif des codifications traditionnelles de la repr�sentation, telle qu'exprim�e avant tout dans la hi�rarchie des genres, que r�side peut-�tre la r�alit� du � pr�-romantisme �. Quand le paysagiste s'�l�ve au rang du peintre d'histoire, quand l'artiste s'empare de la litt�rature moderne comme il l'aurait fait des auteurs classiques, le changement n'est toutes proportions gard�es pas moins grand que lorsque sont renvers�es les r�gimes politiques ou les hi�rarchies sociales. N�o-classique, pr�-romantique, classico-romantique (pour reprendre l'expression avanc�e par certains de romantic classcism), la peinture europ�enne entre 1780 et 1830 ? Peut-�tre, tout simplement, � r�volutionnaire �, mais moins dans un basculement rapide et complet que par un mouvement d'ensemble �tendu, � des rythmes divers, sur une g�n�ration. � (p. 48)

Ce passage du n�o-classicisme au romantisme sans rupture majeure nous indique clairement que l'opposition radicale entre n�o-classicisme et romantisme n'est pas � ignorer mais � nuancer. Dominique de Font-R�aulx dans � �La gr�ce d'une grand figure qui �coute en silence�, d�fis et impasses de la repr�sentation du sentiment � nous apprend que G�ricault reste en partie fid�le � l'esth�tique th��trale de Diderot � tant dans l'�tude d'une composition ma�tris�e que dans le choix de l'instant. Ses h�ros sont, comme le prescrivait le philosophe, en retrait, enferm�s en eux-m�mes. La vertu ne les habite plus, ils sont en proie � la violence. Violence du d�sespoir ou de la m�lancolie, violence du d�sir, violence de la lutte, violence de la folie, violence de la mort. Leurs traits ne sont pas d�form�s, leurs attitudes restent calmes, mesur�es malgr� leur drame int�rieur. � (p. 59) L'attitude d�crite semble ici plus proche des h�ros de David.

Ces d�monstrations prouvent que le romantisme ne fut pas syst�matiquement un moment de rupture. Charles Rosen et Henri Zerner indiquent par exemple que les premi�res �vocations de la synesth�sie n'appartiennent pas � Baudelaire mais qu'elles sont d�j� en germe au xviiie si�cle. Signalons aussi l'article de Jean Mongr�dien (� Du c�t� de la musique �) qui rappelle que la perte de la pr��minence de la musique vocale sur la musique instrumentale se fait aussi sans ruptures (� �volution sans r�volution �). La musique instrumentale devient le premier de tous les arts naturellement.

 

J�r�me Doucet

 

  Le xixe si�cle cin�matographique

 

  Laissez-passer, chronique d'une ann�e noire

Le dernier film de Bertrand Tavernier, Laissez-passer, s'est donn� pour mission de retracer une ann�e d'Occupation, l'ann�e 1942-1943, dans le milieu cin�matographique parisien � travers les itin�raires crois�s d'un sc�nariste, Jean Aurenche, et d'un assistant-r�alisateur, Jean Devaivre. C'est une p�riode difficile pour la profession, qui n'a le choix qu'entre mourir de faim ou travailler sous la f�rule des Allemands et se plier aux imp�ratifs draconiens de la censure. Jean Aurenche choisit de travailler peu et de vivoter. Jean Devaivre assiste Maurice Tourneur dans la r�alisation de La Main du diable d'apr�s Nerval, film produit par la Continental. Cette soci�t� allemande est en effet charg�e par Goebbels de produire des films fran�ais anodins. Mais Alfred Greven, son directeur, entend faire le meilleur cin�ma possible � l'�chelle europ�enne. Alors, pour mieux manipuler les cin�astes r�calcitrants, y compris ceux qui sont juifs, il tente de s'attacher les plus talentueux comme Pr�vert, et, pour contourner la censure, il privil�gie les adaptations. La Fausse ma�tresse - o� Danielle Darrieux enl�ve la vedette � Suzy Delair - et Au bonheur des dames de Cayatte d'apr�s Balzac et Zola, mais aussi Le Mariage de Chiffon de Claude Autant-Lara ou des films plus sociaux comme Le Corbeau de Clouzot avec Pierre Fresnay. On parle m�me d'adapter Une t�n�breuse affaire de Balzac. La meilleure sc�ne du film de Tavernier est la reconstitution de celle o� Michel Simon - vu de dos - jette � Mouret son argent dans l'escalier du d�cor du grand magasin en annon�ant de fa�on proph�tique � le r�gne de la camelote �.

Tous ces films semblent sinon l�gers, du moins impossibles � soup�onner de subversion. Pourtant, il suffit d'entendre, dans Douce de Claude Autant-Lara, Marguerite Moreno pr�cher � patience et r�signation � aux pauvres qu'elle visite et sa gouvernante r�pliquer du tac au tac � Pr�chez-leur plut�t l'impatience et la r�volte �, pour comprendre tout ce que les sc�naristes pouvaient faire passer dans ces �uvres apparemment innocentes. Mais si certains cin�astes refusent de se compromettre en travaillant sous la f�rule allemande, comme Jean Aurenche, il ne faudrait pourtant pas croire, comme le film le sugg�re, que le cin�ma �tait en majorit� enclin � la r�sistance. Tavernier a le m�rite de montrer la complexit� d'une situation o� aucun choix n'�tait �vident, mais son ang�lisme r�trospectif semble tendancieux et peut s'av�rer dangereux. De plus, complexit� ne veut pas dire confusion et aucun spectateur de moins de soixante ans ne peut comprendre quoi que ce soit � l'�poque ni � l'intrigue, centr�e sur deux personnages sans consistance et qui accumule les anecdotes sans v�ritable valeur documentaire. Il est frappant de voir � quel point ces � histoires vraies � falsifient l'Histoire. Quoi qu'il en soit, une d�monstration purement cin�matographique, images en miroir � l'appui, aurait peut-�tre suffi � nous convaincre, sans y ajouter une trop longue et rocambolesque aventure - sans doute v�cue d'ailleurs - de R�sistance, qui fausse la perspective historique. C'est ce que Freud appelle la preuve par le chaudron.

  Tosca, ou l'art de filmer l'op�ra

Beno�t Jacquot est l'un des meilleurs r�alisateurs fran�ais de la g�n�ration des quinquag�naires. Il aime particuli�rement l'adaptation et s'est attach� � Marivaux, dont il a port� � l'�cran La fausse suivante et La Vie de Marianne. Cette fois il rel�ve un d�fi redoutable, celui d'adapter � l'�cran un op�ra et non des moindres, puisqu'il s'agit de celui, fameux entre tous de Puccini. Si les larmes de la belle diva ont fait pleurer des salles enti�res, peut-il en �tre de m�me � l'�cran ? S'opposant diam�tralement � Zeffirelli, qui � l'op�ra comme au cin�ma a r�alis� des mises en sc�ne d'un r�alisme flamboyant, Beno�t Jacquot adopte un parti tr�s p�rilleux. Il d�cide de refuser tout r�alisme et toute flamboyance pour ne laisser subsister que des acteurs et des voix dans des d�cors minimalistes. De plus, il cr�e trois types d'images, des images en noir et blanc tr�s surexpos�es pour l'orchestre et les r�p�titions, des images tr�s brouill�es aux couleurs artificielles pour les d�cors ext�rieurs ou oniriques et des images r�alistes en couleurs pour les sc�nes de l'op�ra jou�es en costumes d'�poque, avec nombre de gros plans sur les chanteurs. Affichant ainsi toutes les conventions, celles de la mise en sc�ne th��trale, musicale et cin�matographique, il sape lui-m�me toute pr�tention � une quelconque vraisemblance et concentre l'attention sur le drame musical. Et pourtant, l'identification se fait et il est impossible de voir et d'entendre ces amants tortur�s sans avoir les larmes aux yeux. Angela Georghiu et Roberto Alagna sont aussi bouleversants que Ruggero Raimondi est immonde dans le r�le de Scarpia. Cette mise en sc�ne qui diss�que l'op�ra jusqu'� une puret� d�sincarn�e et presque abstraite s'av�re � la gloire de l'�motion la plus humaine.

 

Anne-Marie Baron L'actualit� discographique

 

Pour Simone Balay� et George Wolf

 

Les �ditions Encre marine ont eu l'excellente id�e de publier, sous le titre Mozart & autres �crits sur la musique, un ensemble de notes et d'extraits de textes de Fran�ois Mauriac, pr�sent�s et annot�s par Fran�ois Solesmes. Comme le titre l'indique, Mozart est �videmment au c�ur du propos. Le Mozart un peu convenu des ann�es 1950, celui des Discophiles fran�ais, de Karl M�nchinger, Karl Ristenpart, Marcelle Meyer, du renouveau du Festival d'Aix... Mais � c�t� de cette figure que l'on peut regarder aujourd'hui tout autrement, bien d'autres noms traversent ce volume : Bach, Weber, Schubert, Schumann, Wagner, Bizet, Ravel, Stravinsky, Gershwin, pour les compositeurs Paul Baumgartner, Otto Klemperer, Bruno Walter, Arturo Toscanini, Georges S�bastian, L�onard Bernstein, du c�t� des chefs d'orchestre Arthur Schnabel, Yves Nat, Walter Gieseking, Clara Haskil, Dinu Lipatti, pour les pianistes le Quatuor Lener... Bref, toute une �poque... Au hasard de quelques pages, je retiendrai celle-ci qui traite par anticipation des objets de la pr�sente chronique :

Si, bien au-del� de l'enfance, j'ai cru que je n'aimais pas la musique, c'est que je n'allais pas volontiers au concert et que j'avais honte de mon ennui, bien qu'il f�t coup� de br�ves joies. Ici appara�t dans ma vie le r�le de la musique enregistr�e. Les m�mes raisons qui la font maudire par Georges Duhamel (connaissant toute la musique il n'a pas besoin de ces � conserves � d'harmonie) me la font b�nir, moi qui, gr�ce � cette merveille, avance chaque jour un peu plus dans un paradis inexplor�.

Il m'est apparu, gr�ce au pick-up, que la g�ne (que je prenais pour de l'ennui) et qui, dans une salle de concert naissait de mille petites causes : l'impossibilit� d'�tendre mes jambes, l'odeur de la foule, la t�te des gens, le bruit des sacs referm�s et des faces-�-main, les retardataires... Que ce malaise disparaissait d'un coup dans la pi�ce famili�re o� j'�tais seul avec la musique choisie par moi, selon mon c�ur de ce soir-l�. Car il y avait cela aussi qui me rendait les concerts odieux : jamais le programme ne m'offrait ce que j'aurais voulu entendre.

Je parle du pick-up. Que ne dois-je pas � la TSF ! On a tout dit de l'infamie de nos programmes. Mais la TSF. est un monstre qu'il faut conna�tre : maintenant je l'ai apprivois�e. [...]

Le r�gne de la TSF commence la nuit... surtout si vous �tes seul dans le vieux salon d'une campagne perdu, entour� d'un silence de fin du monde. Toutes les forces mauvaises de la terre et de l'air sont encha�n�es. Je suis � Malagar, et j'entends froisser une page de la partition... Et tout � coup, pour moi seul, un trio de Mozart, un quatuor de Beethoven s'�panouit au c�ur de la nuit. Je suis dans la maison de mon enfance, la glace ternie refl�te mon visage de quand je suis seul. Je me souviens de cette moquerie de Cocteau sur � la musique qui s'�coute la t�te dans les mains �. Je puis mettre la t�te dans mes mains, je puis pleurer ou m'�tendre les yeux ferm�s, faire le mort, me laisser porter sur la vague sonore et, quand elle se retire dans un intervalle entre deux mouvements, le silence m�me para�t vivant, la nuit elle-m�me retient son souffle. Il me suffit de ces quelques heures inoubliables (elles sont tr�s rares � Paris) pour pardonner � la TSF sa bassesse quotidienne. � cause d'elles, la vieillesse me fait moins peur : la solitude future me para�t moins redoutable. La mort m�me s'approche comme une b�te famili�re et vient manger dans ma main. (p. 181-182)

 

Puissent ces consid�rations - pourtant si dat�es � bien des �gards - �tre encore aujourd'hui d'actualit� par certain c�t� : le nombre important de r��ditions historiques, le nombre �galement en accroissement des enregistrements publics l�gu�s � la post�rit� gr�ce aux c�d�roms, la multiplication des cha�nes musicales qui, � la radio et sur l'Internet, tous ces moyens offrent une gamme vari�e et un quantit� appr�ciable de concerts et r�citals en direct ou en diff�r�, dont l'int�r�t est de prouver le mouvement en marchant et la n�cessit� d'un contact imm�diat de l'auditeur avec la mati�re sonore et les qualit�s sp�cifiques d'un interpr�te. Il y va de la vie m�me de la musique.

 

Bruch, Max (1838-1820), Violin Concerto n� 1, Romance Op. 42, Scottish Fantasy, Aaron Rosand, Nord-Deutsche Rundfunk Radio-Philharmonie Hannover, dir. Christoph Wyneken, Vox VXP 7906 Violin Concerto n� 2, Aaron Rosand, Bayerische Rundfunk Orchester, dir. Peter Richter de Rangenier Paganini, Nicolo (1782-1840), Violin Concerto n� 1, Aaron Rosand, Saarl�ndischer Rundfunk, dir. Pinchas Steinberg, Vox VXP 7905 Glazunov, Alexander (1865-1936), Violin Concerto Op. 82, Meditation for Violin and Orchestra Op. 32, Les Saisons Op. 67, Aaron Rosand, Malaysian Philharmonic Orchestra, dir. Kees Bakels, Vox VXP 7907

Cet ensemble d'enregistrements anciens (Bruch n� 2 et Paganini n� 1, t�moignages en public des ann�es 70) et r�cents (Bruch n� 1, Scottish Fantasy, Glazunov) rend un juste hommage � un violoniste qui, depuis le d�but de sa carri�re, � deux ou trois exceptions pr�s, est rest� fid�le � la m�me marque de disques. Aaron Rosand est d�sormais entr� dans son grand �ge (75 ans), sans rien perdre toutefois de toutes ses qualit�s d'interpr�te. Ces derni�res l'ont souvent fait comparer par la critique sp�cialis�e au grand Jascha Heifetz, ce qui atteste imm�diatement de l'estime dans laquelle ses pairs le tiennent. Attach� � un label discographique plus prestigieux, Rosand serait devenu dans le public l'�gal des David Oistrakh, Arthur Grumiaux, Isaac Stern, Nathan Milstein, et autres Ithzak Perlman, mais, modeste et travaill� par le seul souci de transmettre aujourd'hui son art au Curtis Institute de New York, comme nagu�re � Nice dans les sessions d'�t� organis�es au Clo�tre de Cimiez en collaboration avec Jean-Pierre Rampal ou Pierre Barbizet, Aaron Rosand a d� attendre son �t� indien, � l'instar d'Oscar Shumsky il y a peu encore, pour jouir enfin de la reconnaissance qu'il m�rite. � l'audition de ces interpr�tations, on est ais�ment � m�me de comprendre et d'appr�cier les qualit�s de ce grand artiste : une sonorit� rayonnante, un phras� toujours subtil, une accentuation et une rythmique jamais en d�faut m�me dans les passages les plus v�tilleux de Paganini ou de Glazunov, et toujours un sens du style qui conf�re au jeu de Rosand toute sa noblesse. D�j� reconnu comme l'auteur d'une des plus belles, sinon de la plus belle interpr�tation moderne du concerto en r� mineur de Beethoven (Vox VXP 7902), Aaron Rosand signe dans ces trois disques la marque d'un violoniste m�morable. Certes, le puriste pourra regretter que le concerto de Paganini ne soit pas jou� ici dans une version philologiquement plus s�re et souffre par cons�quent de coupures dans les pages d'accompagnement orchestral des mouvements extr�mes, on d�plorera aussi parfois que certains chefs ne soient pas toujours imm�diatement pr�ts � r�pondre aux suggestions ou aux sollicitations du violoniste, mais, globalement, comme le montre ais�ment la c�l�bre Fantaisie �cossaise de Bruch, qui trouve ici la quintessence de son folklorisme nostalgique, cet ensemble d'enregistrements saura satisfaire et r�jouir tous les amateurs de grand violon.

 

Busoni, Ferruccio (1866-1924) Piano Music (Vol. 2), J. S. Bach (transcr. Busoni) : Chaconne for solo violin, B 24, �tude en forme de variations, Op. 17, K 206, Variations on � Kommt ein Vogel geflogen �, K 222, Theme and Variations in C major (1873), K6, Inno Variations (1874), K 16*, Variations and Fugue on Chopin's Prelude in C minor, Op. 22, K-213, Theme and Variations, Fugue 5 : 49, Wolf Harden, Piano, Naxos 8. 555699

Le second volume de ce qui s'annonce �tre une tr�s remarquable int�grale de l'�uvre pianistique de Busoni regroupe des �uvres � variations allant du plus connu au quasi in�dit. Le jeu ample et profond du pianiste du Trio Fontenay, acteur, par ailleurs, d'une d�j� belle carri�re de soliste, concourt grandement � la r�ussite de cet enregistrement. Dans la s�rie des int�grales d'�uvres pianistiques qu'ambitionne ce label (Beethoven, Schumann, Schubert, Liszt, Bartok, etc.) nul doute que la r�ussite soit l� bien sup�rieure � la moyenne du fait des qualit�s et de l'unicit� de l'interpr�te. L'�uvre de Busoni est effectivement une �uvre complexe, dont l'ambigus expressif est aussi large qu'est difficile la ma�trise n�cessaire de ses param�tres interpr�tatifs. M�lange de germanit� et d'italianit�, Busoni lui-m�me choqua souvent ses contemporains, et, du transcripteur post-romantique de Brahms au grand seigneur des variations contrapuntiques qui influ�rent sur rien moins que Reger ou Rachmaninov, il faut admettre que la diversit� des facettes de cet �uvre pose souvent probl�me � l'interpr�te et � l'auditeur. Ici, � c�t� de la grandiose Chaconne de Bach, les Variations et fugue sur le 20e Pr�lude en ut mineur de Fr�d�ric Chopin sont parfaitement repr�sentatives de cette difficult�, technique et intellectuelle. Les petites variations de jeunesse sur un lied de Mozart, en revanche, d�voilent un aspect primesautier de cet art que l'on oublie r�guli�rement. Gageons que ce disque composite dans son principe, et simultan�ment tr�s homog�ne dans sa r�alisation, saura rallier � Busoni nombre de suffrages d'auditeurs qui jusqu'ici avaient eu la paresse et l'incuriosit� de ne saluer distraitement sur leur route, et encore avec un soup�on d'admiration compass�e, que le tr�s respectable mais fort ennuyeux M. Bach-Busoni.... � suivre.

 

Czerny, Carl (1791-1857), Sonates pour piano � quatre mains : Sonate Militaire et Brillante, Op. 119, Sonate Sentimentale, Op. 120, Sonate Pastorale, Op. 121. Diane Andersen, Daniel Blumenthal, Classic Dom 2910 62

� l'heure o� la didactique, oubliant le caract�re compulsatoire attach� � sa d�nomination, para�t prendre d�finitivement le pas sur les p�dagogies actives susceptibles de stimuler les potentialit�s des �l�ves, il ne fait pas bon devoir � ce seul trait une inscription douteuse dans la post�rit�. Le compositeur boh�me Czerny t�moigne tristement de cette sp�cialisation. Essentiellement retenu par les histoires de la musique comme auteur de trait�s et de compositions d'�tudes dont les quatre cahiers du Gradus ad Parnassum, sur le mod�le rh�torique, sont peut-�tre la plus parfaite illustration, Czerny est r�guli�rement oubli� comme compositeur d'�uvres de musique symphonique ou de musique de chambre, ce qui est non seulement lassant mais aussi injuste compte tenu du volume (plus d'un millier d'�uvres de tous les genres !) et - tr�s souvent - de la qualit� de ces �uvres qu'un Beethoven lui-m�me ne d�daignait pas d'admirer. Qui, en outre, se rappelle aujourd'hui que Czerny fut, en 1839, le premier �diteur moderne des Sonates pour le clavier de Domenico Scarlatti ? Le pr�sent enregistrement d� � une interpr�te belge et � un pianiste am�ricain d�sormais fix� en Belgique permet de retrouver trois sonates expressives en ce que leurs titres indiquent tr�s pr�cis�ment les climats et humeurs dont Czerny voulait parer des compositions � l'allure tr�s � Sturm und Drang �, dot�es par ailleurs de structures fermement d�finies. Le jeu � quatre mains impose naturellement certes une ampleur de sonorit�s orchestrale, mais si l'on compare ces sonates avec des �uvres du m�me type, � deux mains, de Carl Loewe, de Hummel, voire de Schubert, on saisira assez rapidement - me semble-t-il - les raisons ill�gitimes pour lesquelles Czerny a �t� rel�gu� dans l'oubli : le mat�riau m�lodique n'est effectivement pas inoubliable, la composition harmonique, par ailleurs, ne se signale pas par une inventivit� inou�e, le d�veloppement contrapuntique est trait� avec l�g�ret�, et l'on a souvent l'impression de parcourir, voire de re-parcourir, des textes d�j� connus. Cependant, une �coute plus attentive permet de discerner dans ces compositions des qualit�s didactiques qui ne sont pas sans charme : la clart�, la rigueur et une certaine sant� expressive dans le traitement des motifs expressifs, qui sait rendre la dramaturgie musicale de chacune de ces pi�ces sans tomber dans les outrances d'un path�tique dont la surcharge n'aiderait en rien ici les jeunes pianistes � asseoir les bases de leur jeu individuel et coordonn�. Les deux interpr�tes choisis, en d�pit d'une prise de son m�tallique peu flatteuse, excellent � rendre ces climats avec un rare sens du dynamisme rythmique. � d�faut de d�couvertes majeures, on trouvera bien l� l'illustration d'un art p�dagogique qui n'est pas n�cessairement synonyme de scolastique s�che et roide. Il serait � cet �gard fort instructif qu'un �diteur ou des interpr�tes courageux s'attachent � ressusciter les fantaisies que Czerny composa d'apr�s des romans de Walter Scott, ou les trois s�ries du D�cameron musical (op. 110, 175 et 251) contemporaines des sonates ici r�unies. Apr�s tout, le succ�s litt�raire de Raymond Queneau tint pour partie � la r�ussite des Exercices de style !

 

Fesca, Alexander Ernst (1820-1849), Septet n� 1, Op. 26, in C minor, for Piano, Oboe, Horn, Violin, Viola, Violoncello and Bass Septet n� 2, Op. 28 in D minor Piano, Oboe, Horn, Violin, Viola, Violoncello and Bass, Linos-Ensemble (Konstanze Eickhorst, piano), CPO 999 617-2

Dans l'abondante production d'�uvres de musique de chambre pour formations diverses qui caract�rise le xixe si�cle, les pi�ces les plus remarquables �chappent souvent aux formes les plus consacr�es (trios, quatuors, quintettes) et aux compositeurs les plus renomm�s. Octuors, nonettes, mais aussi septuors ou sextuors occupent l� une place de choix, qu'ils aient �t� r�dig�s par Spohr, Hummel, Reicha, Tribensee, ou, comme c'est le cas ici par une personnalit� devenue aujourd'hui presque anonyme. Alexander Ernst Fesca, pourtant form� par Rungenhaugen et Taubert � Berlin, contemporain de Schumann et des autres compositeurs majeurs de l'�re romantique, mort jeune et in�gal dans son catalogue de plus de soixante �uvres diverses et de plus de cent vingt lieder, a vite sombr� dans l'oubli. D�l�guant au piano, en l'occurrence un piano virtuose et volubile, le soin d'assurer la stabilit� de l'ensemble, Fesca a cependant r�alis� dans ces deux septuors un alliage de timbres et de sonorit�s particuli�rement heureux qui charme imm�diatement l'auditeur. Qu'on ne s'attende pas en revanche � des d�couvertes totalement impr�visibles : la critique nota d'embl�e que la composition contrapuntique aurait pu �tre plus soign�e (doublage fr�quent de la basse au piano par le violoncelle ou la contrebasse, etc.), mais la s�duction op�re par d'autres moyens. La franchise, une �vidente gaiet� et m�me une alacrit� de ton r�jouissante qui rappelle que, m�me vus d'Allemagne, derri�re unissons, trilles, et m�lodies enchanteresses, Rossini et le bel canto ne sont pas loin... De sorte que, le jeu des membres du Linos ensemble aidant, l'on se trouve ais�ment l� devant de petites sc�nes d'op�ra agr�ablement et finement stylis�es. Plaisir des heures de loisir, qui �voque irr�sistiblement quelque paysage italien aux coloris contrast�s mais fermement harmoni�s par l'effet d'un sens classique du dialogue des instruments.

 

Godowsky, Leopold (1870-1938), Sonate pour piano en mi mineur, Menuet n� 1 d�di� � Oscar J. Saxe, Au Jardin des Fleurs, Twilight Thoughts n� 2, S�r�nade, Konstantin Scherbakov, Marco Polo 8.223899.

Sonate pour piano en mi mineur, Passacaglia, Marc-Andr� Hamelin, Hyperion CD CDA 67300.

S'il est un compositeur que l'on associe avec la d�signation des formes les plus complexes de la virtuosit� pianistique, c'est bien Leopold Godowsky, dont les innombrables transcriptions et adaptations d'�uvres baroques, classiques et romantiques (Lully, Loeillet, Frescobaldi, Scarlatti, Bach, Schubert, Chopin) hantent toujours - souvent sous forme de cauchemars - la m�moire des pianistes les plus t�m�raires. Cette virtuosit� passe m�me souvent au-del� du spectaculaire tant l'art de ce compositeur s'�panouit d'abord dans la profusion d'une harmonie qui fait de la polyphonie la plus dense son principe de constitution essentiel et de d�veloppement. Godowsky accr�dite ainsi tr�s rigoureusement l'id�e selon laquelle le d�lire des doigts passe d'abord par le plaisir tr�s ma�tris� de l'intellect il y aurait ainsi une sorte d'�thique et d'esth�tique val�ryenne dans le dispositif de la pianologie de ce compositeur. � l'oppos� de la cursivit� des pi�ces adapt�es, sans rodomontades ni pyrotechnies extr�mes, la Sonate est une �uvre d'une ampleur gigantesque puisqu'elle s'�tend sur une dur�e d'une cinquantaine de minutes, d'une structure � la fois l�che et pourtant rigoureuse, que l'on commence � red�couvrir puisque apr�s l'assez calamiteux enregistrement qu'en avait donn� jadis le pianiste australien Geoffrey Douglas Madge, voici que, subitement, le march� se peuple de deux interpr�tations dont l'int�r�t est rehauss� par la confrontation. D'une part un pianiste de formation sovi�tique, bien qu'�migr� en Europe depuis pr�s de dix ans et d�j� engag� dans une int�grale de la musique de Godowsky, mais dont on ne conna�t pas encore la lecture des 53 �tudes d�riv�es d'�uvres de Fr�d�ric Chopin d'autre part un pianiste canadien, ancien �l�ve de la prestigieuse Julliard School, sp�cialiste de compositeurs m�connus, qui a, quant � lui, d�j� grav� l'ensemble intimidant de ces �tudes. L'un et l'autre dot�s d'une virtuosit� digitale � faire p�lir les plus v�loces interpr�tes de l'�ge d'or du pianisme fou. Et l'�uvre elle-m�me dans ce contexte ? Publi�e en 1911, elle constitue en cinq mouvements un m�lange tr�s curieux de nostalgie et de familiarit�... pr�sente une troublante ressemblance du th�me secondaire du premier mouvement avec la c�l�bre chanson des Beatles, Michelle... et expose des disproportions architecturales destin�es � mieux rendre les aspects chaotiques d'une cr�ation dont l'organisation a du mal � se couler dans les formes traditionnelles de la Sonate, et qui, d�s lors, se calque plut�t sur le mod�le hypertrophi� d'une ballade... Dont le Retrospect final, marqu� Lento molto souligne le caract�re sombre et nostalgique. Deux interpr�tations en tout cas parfaitement abouties, d'une ex�cution et d'un fini sans reproches, avec des intentions esth�tiques diff�rentes, mais, finalement, compl�mentaires pour l'auditeur : plus d'analyticit� et de m�thode avec Marc-Andr� Hamelin, plus d'engagement et de ferveur avec Konstantin Scherbakov, qui choisit de privil�gier la r�sonance. Dans les deux cas, deux t�moignages d'un art un peu aff�t� en ce qui concerne l'�uvre mais magnifiquement domin� en ce qui concerne les r�alisations qui en sont ici offertes. Le choix des auditeurs se d�finira probablement alors en fonction des compl�ments offerts par chaque disque. Pi�ces inconnues ou presque dans l'enregistrement de Scherbakov, qui, � cet �gard compl�te bien les quatre premiers volumes chez le m�me �diteur de son int�grale en cours ou sublime Passacaglia dans l'enregistrement de Hamelin, qui propose une lecture puissante et probe de ces 44 variations suivies d'une cadence et d'une fugue sur le th�me initial de la Symphonie inachev�e de Schubert, que Godowsky composa en 1927. �uvre redoutable que Vladimir Horowitz ne joua jamais en public (Il y faudrait, disait-il, six mains !), qui ne fut gu�re interpr�t�e depuis lors que par Stephen Glover dans les ann�es soixante-dix, Marc-Andr� Hamelin d�s 1989, et un pianiste n�erlandais dont on aimerait bien revoir les multiples talents faire surface, Rian de Waal, qui, apr�s un concert londonien en laissa au disque une admirable interpr�tation en 1991 (Hyperion CDA 66496).

 

Hahn, Reynaldo (1875-1947), Piano Quintet in F sharp minor Vierne, Louis (1870-1937), Piano Quintet in C minor, Op. 42, Stephen Coombs, Chilingirian Quartet, Hyperion CDA 67258

En dehors de Debussy et de Ravel, la musique de chambre fran�aise du premier tiers du xxe si�cle a �t� ignor�e ou oubli�e du public pendant longtemps. Et pourtant elle rec�le quantit� d'�uvres int�ressantes et profondes que l'on ne relierait pas naturellement � leurs compositeurs sur la foi des r�putations attach�es � chacun d'eux. Ainsi, Reynaldo Hahn, tout directeur qu'il ait �t� de l'op�ra de Paris et ami intime de Marcel Proust, est-il g�n�ralement catalogu� comme un petit ma�tre dont il ne faut rien attendre que de plaisant et de superficiel. Ainsi �galement de Louis Vierne, qui, � l'oppos�, et r�duit � la figure aust�re d'un organiste compositeur d'imposantes symphonies pour son instrument, ne saurait quitter sa tribune et sortir de la pompe des �glises. L'enregistrement propos� ici offre une excellente occasion de rectifier ces approximations h�tives. En effet, le quintette de Hahn (1922), avec sa tonalit� de fa di�se mineur, se r�v�le profond et passionn� dans une sorte de filiation inattendue avec ceux de Gabriel Faur�, tandis que celui de Vierne (1918), dans la tonalit� plus sombre encore d'ut mineur, d'ailleurs �crit dans des conditions particuli�rement tragiques (c�cit� d�finitive, s�quelles de typho�de, d�couverte de la trahison amoureuse, �clatement de la famille, mort dans les tranch�es de Jacques le fils ch�ri et de Ren�, le jeune fr�re bien-aim�...), s'inscrit tout naturellement dans le sillage de C�sar Franck ou de Chausson : � Je ne peux plus travailler � tout instant, ma pens�e quitte l'esquisse qui est l�, sur ma table, et va au devant de mes petits qui sont loin de moi. Je sens par moment une sorte d'antagonisme entre l'amour des miens et celui de la musique : nos enfants de l'esprit seraient-ils jaloux de ceux de la chair ? � �crivait-il alors. Les interpr�tations offertes ici rendent pleine justice aux caract�res ambivalents et complexes de ces textes n�glig�s et justifient que les audiophiles et m�lomanes d'aujourd'hui s'int�ressent au pr�sent enregistrement, qui aide � mieux conna�tre un pan particuli�rement path�tique et ignor� de cette musique fran�aise que l'on r�pute trop facilement insouciante.

 

Helsted, Carl (1818-1904), Symphony n� 1 in D-Dur (1841-42), Ouverture in D-moll (1841) Helsted, Gustav (1857-1924), Romance for Violin and Orchestra (1888) Concerto for Cello and Orchestra in C-dur, Op. 35 Karsten Dalsgaaard Madsen, violin, Henrik Dam Thomsen, Cello, The Danish Philharmonic Orchestra South Jutland, dir. Giordano Bellincampi, Harmonious Families vol. 5, Danish Compositions by Fathers and Sons, Danacord DACOCD 537.

Dans l'int�ressante s�rie d'enregistrements que le label Danacord consacre aux dynasties musicales septentrionales, le pr�sent disque nous fait d�couvrir les �uvres d'un p�re et de son fils. Carl, fl�tiste et chanteur (il �tudia � Paris avec Garcia sous la monarchie de Louis-Philippe), subit l'influence manifeste de son contemporain Niels Gade, comme en t�moigne sa symphonie en r� mineur. Gustav, quant � lui, organiste form� au Conservatoire de Copenhague, laisse une profusion d'�uvres symphoniques, chorales (Gurresange ou Gurre Songs dont Sch�nberg put s'inspirer), et de musique de chambre, d'in�gale valeur, mais bien repr�sent�es ici par la Romance pour violon et orchestre, dans le style de Benjamin Godard, et surtout le bref concerto pour violoncelle en ut mineur, compos� en 1919, dans lequel sont perceptibles des �chos d'orchestration debussyste. Les deux jeunes solistes, ainsi que le juv�nile chef d'orchestre savent rendre pleine justice � ces �uvres mineures qui contribuent ainsi � faire d�couvrir des horizons musicaux jusqu'alors n�glig�s.

 

Hubay, Jen� (18958-1937), �uvres pour Violon et Piano, Vol. 4 : Brahms-Hubay : Danses hongroises n� 1-10, Pens�e triste, Op. 74 n� 1, Berceuse, Op. 74 n� 2, Perpetuum mobile, Op. 88, Dix pi�ces caract�ristiques, Op. 79, Fr�hlings-Liebeslieder, Op. 120, Ferenc Szecs�di, Violon, Istv�n Kassai, piano, Hungaroton Classic HCD 31970

Hubay, Jen� (18958-1937), Int�grale des Concertos pour Violon et Orchestre : Concerto dramatique en la mineur, Op. 21 Concerto n� 2 en mi majeur, Op. 91 Concerto n� 3 en sol mineur, Op. 99 Concerto all'antica, Op. 101, Vilmos Szabadi, violon, North Hungarian Symphony Orchestra, Miskolc, dir. L�szl� Kov�cs, Hungaroton Classic HCD 31976-77

Rendant hommage au plus grand violoniste de son histoire musicale, par ailleurs compositeur d'�uvres destin�es � magnifier son instrument, la Hongrie a d�l�gu� � Hungaroton le soin de consacrer une s�rie d'enregistrements � Jen� Hubay, qui constituent une int�grale de cet �uvre composite mais attachant. Les pi�ces pour violon avec accompagnement de piano en arrivent � leur quatri�me volume et permettent de prendre connaissance des harmonisations dont Hubay, pour les dix premi�res d'entre elles, dota les c�l�bres Danses hongroises de Brahms. Puisqu'il �tait question plus haut du travail similaire entrepris sur cet ensemble par Joachim, arr�tons-nous quelques instants sur ces adaptations. Hubay avait rencontr� Brahms � Budapest en 1886, et nou� avec lui, � cette occasion, des contacts qui se transform�rent vite en collaboration artistique r�guli�re. L'id�e de populariser les Danses hongroises, originellement �crites pour le piano, � destination de violonistes amateurs dou�s, mais n'ayant pas n�cessairement � leur disposition tout l'�quipement technique des virtuoses tziganes ou classiques, germa dans l'esprit de Brahms et de Hubay au d�but des ann�es 1890 la r�alisation n'en vit le jour qu'apr�s la mort du premier et ne fut publi�e qu'en 1911. Il en r�sulte une s�rie inachev�e de deux cahiers - deux autres, qui devaient les suivre, semblent avoir disparu si m�me ils ont jamais exist� - offrant une lecture simplifi�e de ces danses, tr�s apte cependant � mettre en valeur le violoniste, et particuli�rement propres � �tre jou�es dans des soir�es amicales de musique de chambre. �coutez, par exemple, la c�l�bre quatri�me - Poco sostenuto - Vivace - pour saisir comment ces �uvres peuvent passer du cadre de la salle de concert � celui de l'auberge comme dans les plus c�l�bres Sc�nes de la Cs�rda sans perdre une once de leur s�duction. Inversement, les dix pi�ces caract�ristiques, Op. 79, retracent le parcours inverse, des lieux populaires o� se chantent les musiques du quotidien au lieux institutionnels o� se d�livre la musique cultiv�e des ma�tres de l'art, nimb�e ici de recherches harmoniques enj�leuses que Ferenc Szecs�di se pla�t � mettre en valeur avec un grand talent.

Le cas du disque de concertos est un peu diff�rent puisqu'il permet de compl�ter la connaissance que l'on avait d'un ensemble destin� � faire pleinement briller le soliste parmi un orchestre ample aux sonorit�s puissantes et profondes, bien loin de l'intimit� de la musique de chambre. De cet ensemble ne subsistait plus gu�re que le troisi�me concerto, en sol mineur, que le disciple de Auer, Efrem Zimbalist, a interpr�t� plus de cent fois aux �tats-Unis, et que Aaron Rosand, lui-m�me successeur de Zimbalist, a maintenu � son r�pertoire. Pour le reste, l'oubli le plus complet s'est empar� d'une production qui ne le m�rite pas. Le Concerto dramatique en la mineur, Op. 21, par exemple, compos� en 1884-1885 et d'ailleurs d�di� � Joachim, d�borde d�j� de modulations in�dites, d'une �nergie entra�nante. Le second concerto, quant � lui, �crit en mi majeur au tournant de 1900, est empli d'un lyrisme plus d�tendu pour lequel les �pith�tes d'art noblement ressenti et de vraie �me po�tique ont �t� employ�es. Le troisi�me concerto, dat� de 1907, suit pour sa part la structure g�n�rale des concertos pour piano de Liszt en quatre mouvements unis mais cependant discernables plut�t que trois mouvements distincts comme le veut la tradition. La tr�s brillante cadence du dernier mouvement �l�ve l'art violonistique au niveau des plus hauts d�fis pos�s par les h�ritiers de Paganini et de Ernst, et il faut reconna�tre que Vilmos Szabadi s'acquitte parfaitement de cette t�che plus que redoutable. Le quatri�me Concerto, enfin, compos� en 1906-1907 pour Stefi Geyer, la cr�atrice de la Sonate de Bartok, anticipe tr�s curieusement sur le n�oclassicisme qui sera de mise dans les ann�es vingt et propose des solutions originales au probl�me de la r�utilisation moderne des formes musicales du pass�, notamment en ce qui concerne les intitul�s de ses parties constituantes : Preludio, Corrente, Larghetto, Finale e Capriccio... L� encore le talent du soliste, �l�ve de S�ndor V�gh, dont il a h�rit� le sens stylistique, et de Ruggiero Ricci, dont il a su retenir la virtuosit� d�brid�e, se r�v�le remarquable et plaide en faveur de la reconnaissance de ces �uvres et de cet enregistrement parmi les red�couvertes majeures de l'art du violon de ces derni�res ann�es.

 

Kirchner, Theodor (1823-1903), Compositions for Piano Trio II, Zw�lf Bunte Bl�tter Op. 83, Serenade, Ein Gedenkblatt, Op. 15, Zwei Terzette, Op. 97, Kleines Trio, Sechs St�cke in kanonischer Form f�r Klaviertrio nach Robert Schumann, Op. 56, Arcadia Trio : Rainer Gepp, piano, Gorjan Kosuta, violon, Milos Mlejnik, violoncelle, Antes Edition BM-CD 31.9145

Theodor F�rchtegott Kirchner - ce second pr�nom ne s'invente pas ! - fait partie lui aussi des minores oubli�s, et pourtant, en son temps, il sut s'attirer la sympathie et l'estime de Brahms ou de l'�diteur Simrock. Insuffisamment confiant dans son talent, Kirchner a pass� pour un adaptateur hors pair : que l'on songe, en ce sens, aux remarquables versions pour trio - piano, violon et violoncelle - qu'il donna des deux Sextuors � cordes de Brahms il a �galement l�gu� un nombre important de petites pi�ces diverses qui l'ont aussi r�duit � la stature d'un miniaturiste dou�, mais de conception et r�alisation restreintes. Le tr�s bel enregistrement pr�sent� ici t�moigne de ces deux parts de son talent. L'adaptateur travaille l� sur le mat�riau des �tudes pour clavier � p�dale, Op. 56 de Schumann, dont J�rg Demus notait autrefois le caract�re �trangement naturel en d�pit des contraintes et du carcan contrapuntique guidant la production de canons. Et il en propose deux versions, une pour piano � quatre mains (non enregistr�e) et une autre pour trio, dont les membres du Trio Arcadia donnent ici une lumineuse interpr�tation, sensible aux courbes harmoniques et aux phrases si vivantes de l'�uvre de Schumann. Parall�lement, le miniaturiste appara�t dans toute la subtilit� de son talent gr�ce � des Bunte Bl�tter - l� encore, r�miniscence de l'Op. 99 de Schumann ! - une S�r�nade et diverses autres pi�ces br�ves, tels ces deux Terzette qui rappellent tardivement le charme et la simplicit� des Moments musicaux de Schubert. Les interpr�tes savent manifestement s'�couter mutuellement, marier leurs timbres et anticiper sur les suggestions que la libert� et la ma�trise instrumentales sont capables d'adjoindre sans trahison au texte d'�uvres qui requi�rent une totale communion d'esprit et de sentiment pour �tre reconnues � leur juste valeur.

 

Lachner, Franz (1808-1890), Nonet in F major for Flute, Oboe, clarinet, Horn, Bassoon, Violin, Viola, Violoncello and Double Bass Octet, Op. 156, in B flat major for Flute, Oboe, 2 Clarinets, 2 Horns, 2 Bassoons and Double Bass ad libitum, Consortium Classicum, dir. Dieter Kl�cker, CPO 999 803-2

Autre n�glig� de l'historiographie musicale, Lachner �tait consid�r� par Schumann comme � le compositeur le plus dou� et le plus �rudit du sud de l'Allemagne �... Organiste, corniste, violoncelliste, contrebassiste � M�nich, entre 1819 et 1822, Lachner connut la vie difficile des jeunes professeurs de musique, et dut � un succ�s dans un concours de 1823 de pouvoir devenir l'�l�ve de Simon Sechter (1788-1876), lui-m�me ma�tre d'Anton Bruckner. C'est au cours de cette p�riode de quelques ann�es que Lachner devint le familier de Schubert, et put s'impr�gner d'atmosph�res qui, d�s lors, teint�rent sa cr�ation de mani�re r�currente. L'Octuor de 1850, comme le Nonet de 1875 en t�moignent de mani�re significative. Si le premier constitue en fait avec ses quatre mouvements - Allegro moderato, Adagio, Scherzo, Finale - une symphonie pour vents d�guis�e, le second rappelle indubitablement dans sa forme les exp�riences musicales de la jeunesse, m�me s'il en colorie les formes - Andante, Menuetto, Adagio, Finale - d'harmonies postromantiques savoureuses. Le clarinettiste Dieter Kl�cker m�ne ici avec verve et esprit le Consortium Classicum, ensemble � g�om�trie variable, grand sp�cialiste des formations inhabituelles et des r�pertoires sortant de l'ordinaire. Belle r�ussite.

 

Liszt, Franz (1811-1886), Opera Transcriptions (Lucia di Lammermoor, Il Trovatore, Norma, Oberon, Benvenuto Cellini, Tannhauser), Paganini Studies (n� 1-6), Sonetti Dei Petrarca from Ann�es de P�lerinage, Book II (Italie) n� 47, 104, 123, Tarentella from Venezia e Napoli, Harmonies Po�tiques et Religieuses (Invocation, B�n�diction de Dieu dans la solitude, Pens�es des Morts, Fun�railles, Cantique d'Amour), Alfred Brendel (1955-1959-1961), Vox Box CDX 5181.

Rappelons pour m�moire les tr�s beaux enregistrements d'�uvres de Liszt que le jeune Alfred Brendel, alors �g� de vingt-cinq � trente ans, l�guait � la firme Vox entre 1955 et 1959. Ils ont �t� depuis longtemps c�l�br�s � juste titre et, en d�pit de qualit�s sonores d'enregistrement variables allant du caverneux au m�tallique, donnent � entendre un art saisissant de spontan�it� et de virtuosit� difficilement �gal� depuis. M�me si � l'occasion d'�ditions ult�rieures le texte de certaines des paraphrases d'op�ras a pu �tre revu et remani�, admirons par exemple le panache et la puissance avec lesquels la Grande fantaisie sur Norma de Bellini est rendue de m�me l'Ouverture d'Oberon n'a jamais sonn� avec plus d'�nergie, d'entrain et de fougue que sous les doigts de ce grand interpr�te. D�s ces ann�es de jeunesse est perceptible un ton qui d�s lors ne se d�mentira plus, en d�pit de l'approfondissement d'options stylistiques qui feront croire que cet interpr�te, comme en a souffert jadis cet autre g�ant qu'�tait Wilhelm Backhaus, ne pouvait �tre qu'un pianiste intellectuel et c�r�bral. Et pourtant !... Quelle Fantaisie de Schumann, Op. 17, �galera jamais l'interpr�tation rhapsodique, �chevel�e et br�lante qu'en donnait Backhaus en 1937 ? Quel Cantique d'Amour �galera un jour le chant sinc�re, profond et si ductile, que fait ici entendre Alfred Brendel ? Certes, il faut bien passer sur des prises de son assez souvent laides, que la technique moderne ne parvient pas toujours � faire oublier, mais sont directement palpables ici les qualit�s de clart� et d'invraisemblable v�locit�, de puissance (La Campanella, 3e �tude d'apr�s Paganini, par exemple !) et tout simplement d'ardeur et d'enthousiasme dont t�moignait encore ce jeu, le 28 f�vrier 2002, lors d'une m�morable interpr�tation au Th��tre du Ch�telet du premier concerto pour piano et orchestre de Beethoven, donn�e par le m�me interpr�te, seulement �g� alors de soixante et onze ans... Rien ne serait ou ne se serait conserv� dans l'�ge avanc� qui n'�tait d�j� profond�ment inscrit dans les marques de la jeunesse. C'est bien l� ce qu'exposent magnifiquement ces enregistrements de pr�s de cinquante ans... Ce que nous aurons �galement le loisir de commenter dans la prochaine chronique � l'occasion de la parution d'un second concerto pour piano de Prokofiev par Shura Cherkassky et l'orchestre de la BBC. Quant au label Vox en question, malgr� des demandes r�p�t�es faites � son actuel directeur g�n�ral, Todd Landor, peut-on encore esp�rer la reparution des enregistrements de l'int�grale Schumann qu'avait r�alis�e jadis Peter Frankl, et de certains des t�moignages de l'art discret de Walter Klien, dont certains Grieg dignes de m�moire, au d�tour des ann�es soixante-dix, avaient eu une �ph�m�re existence sous l'�tiquette Turnabout ?

 

Novak, V�t_zslav (1870-1949), Sonata Eroica, Op. 24 (1900), Barcarolles, Op. 10 (1896), At Dusk, Op. 13 (1896), S�r�nades, Op. 9 (1895-1896), Bagatelles, Op. 5 (1899), Martin Vojt�sek, piano, Supraphon SU 3575-2 131.

�l�ve de Dvor�k, Nov�k commen�a sa carri�re musicale officielle le 27 septembre 1895, � l'occasion de l'Exposition ethnographique de Prague, en s'inscrivant dans une lign�e musicale directement ent�e sur l'h�ritage de Robert Schumann. C'est � cette p�riode et � ce climat que nous devons les S�r�nades et Barcarolles du pr�sent enregistrement, lesquelles t�moignent des riches impressions que la nature peut procurer � une �me sensible, surtout lorsque cette derni�re se trouve simultan�ment en proie aux exaltations d'une idylle amoureuse et � l'exacerbation du sentiment patriotique. C'est d'ailleurs ce dernier tout entier qui guide la progression de la Sonate H�ro�que, compos�e en 1900, et destin�e � rappeler le souvenir de J�nos�k, un h�ros populaire slovaque d�fenseur mythique et embl�matique d'un peuple opprim�. Musique expressivement riche, tonalement s�duisante et pleine de trouvailles harmoniques ing�nieuses, l'�uvre de Nov�k m�rite de survivre et �meut naturellement, sans artifices, l'auditeur qui accepte de se laisser aller au charme d'impressions profondes stylis�es dans le plus strict respect des formes musicales traditionnelles et des substances m�lodiques populaires. L'interpr�tation d'un pianiste en relation m�diate avec le compositeur gr�ce � son ma�tre, Ilona Step�nov�-Kurzov�, et au plus c�l�bre mari de cette derni�re, V�clav Step�n, magnifie ces donn�es quasi biographiques, et l�gitime des options stylistiques que l'on peut prendre ainsi comme l'expression fid�le des intentions du compositeur : � J'interpr�te Nov�k comme une musique pleine de sentiments dont la construction ferme bien pr�par�e n�cessite d'appliquer des nuances alogiques et dynamiques des plus vari�es et de grands effets sonores. Connaissant ainsi l'�poque o� v�cut Nov�k, je cherche � interpr�ter ses �uvres en leur donnant le plus d'authenticit� possible �... Et c'est ind�niablement l� une r�ussite totale.

 

Reger, Max (1873-1916), �uvre int�grale pour piano : Vol. 11, An der sch�nen blauen Donau, Op. posth., Tr�ume am Kamin, Op. 143, � Gr��e an die Jugend �, o. Op. (1898), Mari� Wiegenlied, Op. 76, n� 52, Thorofon Classics CTH 2321 Vol. 12, Variationen und Fugue �ber ein Thema von J. S. Bach, Op. 81, Vier Spezialstudien f�r die linke Hand, In der Nacht, Vier Klavierst�cke, Markus Becker, piano, Thorofon Classics CTH 2322

Bien diff�rente dans son esprit et ses modes d'expression est la musique de Max Reger. Avec ces deux disques, nous touchons d'ailleurs � la fin de la remarquable int�grale de l'�uvre pour piano que donne Markus Becker. Cet interpr�te, encore peu connu de ce c�t�-ci du Rhin, se r�v�le toutefois de disque en disque un artiste plus que talentueux et attachant. En t�moignent d'ailleurs tout r�cemment encore ses tr�s fines Variations Goldberg BWV 988 [CPO 999 831-2]. Les deux derniers disques consacr�s � la s�rie Reger confirment � cet �gard toutes les qualit�s d�tect�es dans les pr�c�dents. Une �claboussante virtuosit� dans l'arrangement-paraphrase du Beau Danube bleu, l'ironie et les sarcasmes dans le Salut � la jeunesse, le sens de la forme ample vari�e avec fantaisie et rigueur comme dans l'Op. 81 et son hommage � Bach ou, plus simplement, l'�motion naturelle �manant du Mari� Wiegenlied, l'ironique nostalgie des quatre pi�ces intitul�es Vier Spezialstudien pour la main gauche, dans lesquelles Reger joue et se joue la virtuosit� de Chopin sur le mode parodique d'un Godowsky plus d�cadent que nature. Musique qui n'est peut-�tre pas imm�diatement s�duisante au premier abord, mais qui confie � qui sait l'entendre bien des secrets d'une �me tourment�e, et qui r�serve bien des joies de l'esprit � qui sait l'�couter, l'�uvre de Reger m�rite largement de sortir de la n�gligence dans laquelle elle est tenue aujourd'hui. En ce sens, Markus Becker fait �uvre plus que de plaidoyer, il convainc brillamment de toutes les qualit�s expressives et intellectuelles d'un �uvre exigeant entre tous. Chaudement recommand�.

 

Saint-Sa�ns, Camille (1835-1921), Concertos pour piano et orchestre, n� 1 en r� majeur, Op. 17, n� 2 en sol mineur, Op. 22, n� 3 en r� b�mol majeur, Op. 29, n� 4 en ut mineur, Op. 44, n� 5 en fa majeur, Op. 103, Allegro appassionato, Op. 70, Rapsodie d'Auvergne, Op. 73, Wedding Cake : Valse-Caprice, Op. 76, Africa, Op. 89, Stephen Hough, City of Birmingham Symphony Orchestra, dir. Sakari Oramo, Hyperion CDA 67331/2

Saint-Sa�ns... immortalis� comme initiateur de la Soci�t� nationale de musique en vue de contrecarrer le germanisme ambiant, apr�s la d�faite de 1870... Saint-Sa�ns adul� comme virtuose pr�coce, compositeur prolixe, amateur d'exotisme, pourvoyeur de musique de film et d'op�ra (Henry VIII)... Saint-Sa�ns n'a quant � lui besoin d'aucun plaidoyer pour rester dans les m�moires, de 7 � 77 ans ! Le Carnaval des Animaux assure ais�ment cette notori�t� et cette popularit� indiscut�es. Son �uvre concertante pour piano et orchestre a d'ailleurs b�n�fici� � cet �gard de toutes les faveurs d'un public complaisant au brio de l'instrument soliste le plus �tincelant et � la rutilance des timbres les plus riches d'une orchestration parfaitement �tudi�e. Parmi les ascendants d'un tel lignage, Liszt et Mendelssohn figurent certainement en bonne place, mais aussi, probablement Kalkbrenner. Depuis cinquante ans et un peu plus, Jeanne-Marie Darr�, Jean-Philippe Collard, Gabriel Tacchino, Philippe Entremont, Aldo Ciccolini, Pascal Rog� et tout r�cemment encore Angela Brownbridge ont donn� des int�grales plus ou moins heureuses de cet ensemble compos� sur plus de quarante ans, mais dot� d'une ferme stabilit� esth�tique et imm�diatement s�duisant. Isol�ment, des pianistes de la stature d'Arthur Rubinstein, Emil Gilels, Sviatoslav Richter n'ont pas d�daign� s'int�resser � quelques-uns, notamment au second concerto, qui poss�de la particularit� de s'ouvrir sur une ample cadence alla Bach, ou au cinqui�me qui �voque la nostalgie des chants de bateliers nubiens... L'intr�pide Nikolai Petrov, quant � lui, optant pour la transcription pour piano seul de cet Op. 22... par Georges Bizet [Olympia OCD 276] ! C'est dire toute la richesse d'une discographie dans laquelle cependant l'enregistrement de Stephen Hough conquiert imm�diatement la premi�re place gr�ce � une virtuosit� ail�e, d�licate, �l�gante et fid�le � l'esprit du texte de Saint-Sa�ns, fait - comme on le sait - d'un profond attachement � la tradition et, en m�me temps, d'idiosyncrasies inattendues. Ainsi en atteste par exemple l'admirable quatri�me concerto, r�dig� en 1875 dans la tonalit� d'ut mineur, qui dans ses deux sections principales met absolument � �galit� le piano et l'orchestre. Consid�r� par certains comme un h�ritier naturel de Shura Cherkassky pour la libert�, l'aisance, le caract�re souvent improvis� d'un jeu fond� sur la plus s�re des techniques du clavier, Stephen Hough qui s'est illustr� depuis longtemps � travers Hummel, Franck, Lieberman, Bowen ou d'autres, fait montre ici d'un �clat admirable que soutient fort bien la direction complice du jeune chef finlandais Sakari Oramo, ma�tre d'un City of Birmingham Symphony Orchestra nagu�re fa�onn� par Sir Simon Rattle. Je retiendrai particuli�rement le second concerto, �videmment, mais aussi le cinqui�me, en fa majeur, Op. 105, auxquels les interpr�tes �vitent le pi�ge d'un exotisme de pacotille en d�pit de l'utilisation de m�lodies orientales accompagn�es des stridulations de grillons et des coassements de grenouilles que rendent clarinette et gong... Parmi les pi�ces de compl�ment, la Rapsodie d'Auvergne, Op. 73, m�rite une mention sp�ciale pour l'�clat de son orchestration et le fini du rendu pianistique du chant d'une simple lavandi�re auvergnate entendu � Nohanent, pr�s de Clermont-Ferrand, lors d'un s�jour du compositeur � Royat en 1883. Servis par une tr�s bonne, tr�s fid�le et pr�cise prise de son, ces deux disques s'ins�rent parfaitement dans le bel ensemble des concertos pour piano romantiques qu'Hyperion �difie depuis de nombreuses ann�es. C'est dans ce massif que l'on attend au reste avec quelque impatience la parution prochaine en trois disques des huit concertos pour piano et orchestre de Moscheles dont Howard Shelley et l'Orchestre Symphonique de Tasmanie (Hobart) ont r�cemment entrepris la r�alisation. � suivre...

 

Sgambati, Giovanni (1841-1914), Piano Concerto in G minor, Op. 15, Cola di Rienzo, Ouverture, Berceuse-R�verie, Op. 42 n� 2 (orchestration de Jules Massenet), Francesco Caramiello, N�remberg Philharmonic Orchestra, dir. Fabrizio Ventura, ASV CD DCA 1097

The Complete Piano Works, Vol. III, Fogli volanti, Op. 12, Quattro Pezzi di Seguito, Op. 18, Notturno, Op. 3, Romanza, Serenata, Op. 16, Scherzo dal Quartetto Op. 17, Francesco Caramiello, Agora AG 280.1

Depuis l'enregistrement ancien de ce concerto que le m�me orchestre avait propos� en 1973 avec Jorge Bolet comme soliste, l'�uvre avait quasiment disparu de l'estrade et des rayonnages de discoth�ques... On est donc heureux de saluer ici le retour d'un gigantesque concerto pour piano et orchestre, manifestement calqu� sur le mod�le formel du second de Brahms bien que les r�miniscences m�lodiques et harmoniques les plus imm�diatement apparentes orientent plut�t vers l'Empereur de Beethoven et le la mineur de Schumann... C'est probablement l� ce qui d�crit le mieux la complexit� d'une �uvre qui surprend presque � chaque instant par le caract�re d�chirant de son �criture. Il est vrai que form� par Natalucci � Rome, sa ville natale, puis par Liszt � Weimar, Martucci n'�tait aucunement � mauvaise �cole. Il fut m�me le brillant chef d'orchestre qui cr�a la Dante-Symphonie et l'Oratorio Christus de Liszt, et le successeur de ce dernier en 1886 � l'Institut de France. Et l'on mesure par l� l'�tendue d'une culture diversifi�e qu'il fallait bien que la cr�ation artistique synth�tis�t d'une mani�re ou l'autre.

Le disque de pi�ces pour piano t�moigne de cet art d�licat que l'on pourrait qualifier comme transition entre l'amertume du c�ur du Liszt des derni�res ann�es et les juv�niles impertinences de Busoni. Musiques d'atmosph�re, intime et dense, ces �uvres d�notent une exigence de rigueur qui n'est jamais obtenue aux d�pens de la sinc�rit� il en r�sulte une s�duction qui, pour s'exprimer pleinement et r�aliser les intentions du compositeur, doit faire fond sur une sympathie �gale de l'auditeur et de l'interpr�te. Dans le cas pr�sent, Francesco Caramiello propose un jeu tr�s abstrait du point de vue de la conception d'ensemble des recueils, mais de tr�s haute qualit� technique et �motive, qui restitue toutes leurs qualit�s esth�tiques aux �uvres enregistr�es ici.

 

Sibelius, Jean (1865-1957), Ten Piano Pieces, Op. 58, Three Sonatinas, Op. 67, Two Rondinos, Op. 68, H�vard Gimse, piano, Naxos 8.554814

Autre int�grale pianistique en cours, celle de l'�uvre de Sibelius, lequel ne se cacha jamais d'avoir �crit ces compositions pour assurer le pain et le beurre des tartines de ses enfants... Pourtant, si un certain m�pris reste attach� � cette production de circonstance - � Rien ne s'y hisse au niveau de la grande litt�rature europ�enne de piano � �crit F.-R. Tranchefort, au patronyme en quelque sorte justifi� par une semblable all�gation - loin s'en faut que tout soit m�prisable dans ces pi�ces qui s'�talent de 1893 � 1929 sur tout l'ensemble de la carri�re cr�ative de Sibelius. L'enregistrement du pianiste danois, qui constitue le troisi�me volume de son projet, est centr� autour des trois Sonatines, Op. 67, dat�es de 1912 et contemporaines de la quatri�me symphonie. �crites apr�s l'�pisode tragique du cancer de la gorge d�tect� en 1908 et op�r� avec succ�s, mais qui contraint d�s lors Sibelius � une sorte de silence douloureux ponctu� des raucit�s de tentatives avort�es d'expression verbale, ces sonatines t�moignent d'une esth�tique de l'asc�se et du d�pouillement qui s�duisit en son temps un artiste tel que Glenn Gould (Sony 52 654). Impressionnistes, faisant souvent usage d'octaves divis�es scandant le d�fil� obsidional de marches fun�bres infinies, ces �uvres sont un excellent support � l'expression des qualit�s de H�vard Gimse, dont le jeu sait �pouser toutes les nuances de sentiment et d'expression de ces musiques plus denses que certains titres - R�verie, Air vari�, St�ndchen, Sommerlied, etc. - le donnent � penser. Le compl�ment parfait des deux Rondinos, Op. 68, avec leurs �chos lointains de Chopin, donnent � penser qu'une quatri�me sonatine, qui n'a vu le jour, �tait peut-�tre en gestation � la m�me �poque.

 

Stanford, Sir Charles Villiers (1852-1924), Piano Quartet n� 1 in F, Op. 15 (1879), Piano Trio n� 1, Op. 35 (1889), Philip Dukes, viola, Pirasti Trio (Jeffrey Sharkey, piano, Nicholas Miller, violin, Alison Wells, cello), ASV CD DCA 1056

Sir Charles Villiers naquit Irlandais, � Dublin, dans une famille protestante, upper middle class, cultiv�e et intellectuelle... Il se forma initialement � Cambridge avant de poursuivre ses �tudes musicales en Allemagne, � Leipzig pr�s de Reinecke et � Berlin, aupr�s de Kiel. Revenu en Grande-Bretagne, son talent fut reconnu et il devint, avant Elgar, le ma�tre de la musique britannique, ce dont t�moigne le poste de professeur de composition qu'il obtint au Royal College of Music d�s la fondation de cette institution, en 1883. Particuli�rement attir� par la musique de chambre Stanford laisse derri�re lui quantit� d'�uvres de ce type, accompagn�es de pi�ces de circonstances assez dat�es dans leur pompe de musique d'�glise pour orgue. Le Quatuor pr�sent� ici est d�di� � Ernst Frank, Ma�tre de chapelle au Th��tre municipal de Francfort et ami proche de Hans von B�low. Compos� de quatre mouvements, il laisse appara�tre et alterner des �pisodes de fougue juv�nile et d'introspection tendue que le finale plus dansant ne parvient pas enti�rement � faire oublier. Le Trio, compos� dix ans plus tard, adopte la m�me disposition quadripartite et propose une �criture pianistique plus contrapuntique, parfois m�me proche de l'emphase, qui s'�vade � certains moments en ornementations fi�rement galopantes. Disciple de John Browning � New York et de Peter Frankl � Yale, le pianiste du Trio, Jeffrey Sharkey, m�rite tous compliments pour avoir compris que cette musique passionn�e de Stanford ne pouvait revivre que gr�ce � un engagement personnel de l'interpr�te, maintenu toutefois dans les limites du bon go�t classique. Ses coll�gues Nicholas Miller et Alison Wells doivent �tre associ�s aux �loges pour le go�t dont ils t�moignent aux cordes, gr�ce auquel ces deux �uvres peuvent rena�tre � nos oreilles - f�t-ce momentan�ment - pour le seul plaisir du partage d'une atmosph�re victorienne d'�poque r�volue.

 

Winding, August (1835-1899), Concerto for piano and orchestra in A minor, Op. 19 (1869) Concert Allegro for piano and orchestra in C minor, Op. 29 (1875) Hartmann, Emil (1836-1898), Concerto for piano and orchestra in F minor, Op. 47 (1889-90), Oleg Marshev, piano, The Danish Philharmonic Orchestra South Jutland, dir. Matthias Aeschbacher, Danish Piano Concertos vol. 2, Romantic Works for Piano and Orchestra, Danacord DACOCD 581

Le label Danacord, qui se pla�t � chanter - comme l'�crivait Jean Cocteau - dans son arbre g�n�alogique, a choisi de d�velopper une collection d�volue aux grands concertos danois �crits pour piano et orchestre. Le second volume pr�sente trois �uvres qui s'�chelonnent de 1869 � 1890 et permettent ainsi de mesurer l'�volution ou la stagnation du go�t et des modes au Danemark, sur un peu plus de vingt ans. Gu�re d'originalit�s dans ces �uvres, qui t�moignent rapidement de l'influence exerc�e par Chopin, Kalkbrenner, Litolff ou Reinecke, mais un r�el savoir-faire orchestral et technique d�riv� pour le premier des enseignements de Dreyschock et de l'amiti� de Grieg et, pour le second de l'enseignement de son propre p�re J. P. E. Hartmann. Que l'on rapproche ces �uvres de celles de Liszt, de Chopin ou m�me de Schumann, et l'on comprendra vite que, malgr� le tr�s beau jeu d'Oleg Marshew et de l'orchestre accompagnateur, et en d�pit d'un artisanat soign�, ces musiques paraissent p�les et quelque peu secondaires. Un disque, par cons�quent, pour le seul plaisir d'�tendre sa culture sans oser pr�tendre d�couvrir l� des territoires esth�tiques jusqu'alors n�glig�s � tort. Le soliste que l'on a connu plus engag� dans l'Hexam�ron ou nombre de pi�ces d'Emil von Sauer, de Rachmaninov, de Pabst ou Prokofiev, d�fend la cause au mieux, mais ne peut transcender ce qui reste plus le t�moignage d'un savoir ma�tris� que l'expression irr�missible d'une originalit� en devenir.

 

Pour terminer cette chronique, j'�voquerai rapidement deux parutions centr�es sur les talents d'un pianiste particulier. Et tout d'abord une sorte de tour de force de Valery Kuleshov, qui a not� et adapt� des transcriptions pour le piano d'�uvres c�l�bres, r�alis�es jadis par Vladimir Horowitz pour servir de bis et de d�monstration de ses capacit�s, sans que jamais ce dernier ait r�ellement song� � mat�rialiser leur surgissement dans des partitions r�dig�es en bonne et due forme :

Hommage � Horowitz : Virtuoso transcriptions for piano : Meddelssohn Bartholdy-Liszt-Horowitz, Wedding March and Variations from � A Midsummer Night's Dream � Horowitz, Waltz in F minor, Danse excentrique, Variations on a Theme from Bizet's � Carmen � Liszt-Horowitz, Hungarian Rhapsody n� 19 Liszt-Horowitz-Kuleshow, Vall�e d'Obermann Mussorgsky-Horowitz, By the Water Saint-Sa�ns-Liszt-Horowitz, Danse macabre Horowitz, �tude-fantaisie in E flat major, Op. 4, � Les Vagues � Sousa-Horowitz, The Stars and Stripes Forever, Valery Kuleshov, piano, BIS CD 1188

� la vue du titre de la derni�re pi�ce, ou de la mention de Carmen, et connaissant toutes les qualit�s et tous les travers de la suffisance de Horowitz, la premi�re impression pourrait �tre : Musiques de cirque que tout cela, oublions vite ! Cette impression serait fausse et m�rite d'�tre corrig�e, gr�ce au jeu extr�mement brillant mais aussi fort s�r du point de vue stylistique du pianiste m�diateur. Valery Kuleshov, qui adjoint lui-m�me des modifications � l'�uvre de Liszt que Vladimir Horowitz avait d�j� r�organis�e, s'av�re ici d'une sobri�t� admirable qui transforme le spectaculaire en suggestions musicales fortes. Et l'ensemble de ce disque qui pourrait �tre l'expression d'un horrible d�lire t�moigne de l'heureuse r�demption d'une virtuosit� spectaculaire et creuse par l'intelligence du go�t et le sens du style.

 

En revanche, s'il est servi par un identique et admirable fini pianistique, l'enregistrement que Marc-Andr� Hamelin entend r�aliser en hommage par son titre � Godowsky s'av�re plus disparate et in�gal :

Kal�idoscope : E. Bentz Woods, Valse Phantastique F. Behr-S. Rachmaninov, Polka de W. R. J. Hofmann, Nocturne, Kaleidoscop, Op. 40 n� 4 M.-A. Hamelin, �tude n� 3 (d'apr�s Paganini-Liszt) F. Blumenfeld, �tude pour la main gauche seule, Op. 36 J. Offenbach et J. Gimpel, Concert Paraphrase of � The Song of the Soldiers of the Sea � (The Marines'Hymn) M.-A. Hamelin, �tude n� 6 : Essercizio per pianoforte (Omaggio a Domenico Scarlatti) J. Massenet, Valse folle M. Moszkowski, �tude in A flat minor, Op. 72 n� 13 F. Poulenc, Intermezzo in A flat L. Godowsky, Alt Wien A. Michalowski, �tude d'apr�s l'impromptu en la b�mol majeur de Fr. Chopin, Op. 29 A. V. Lourie, Gigue E.-R. Blanchet, Au jardin du vieux s�rail (Andrianople), Op. 18 n� 3 A. Casella : Deux Contrastes, Grazioso (Hommage � Chopin), Antigrazioso J. Vallier, Toccatina A. Glazunov et M.-A. Hamelin, Petit Adagio extrait des Saisons N. Kapustin, Toccatina, Op. 36, Marc-Andr� Hamelin, piano, Hyperion CDA 67275

� tout seigneur, tout honneur, comme il est commun�ment admis : les deux �tudes d'apr�s Liszt et Scarlatti r�dig�es par M.-A. Hamelin se caract�risent par des difficult�s techniques invraisemblables, suscitant alternativement le sourire ou l'exasp�ration. De ces d�voiements sarcastiques et quelque peu pervers, l'interpr�te s'acquitte �videmment au mieux en revanche, les pi�ces de Bentz-Woods, Louri�, Blanchet, et a fortiori de Vallier ou Kapustin, aux m�rites strictement musicaux plus discutables, souffrent par trop de leur volont� d�monstrative : exhiber la virtuosit� d'un interpr�te, ce n'est pas n�cessairement faire courir ses doigts sur le clavier � la vitesse de la lumi�re... afin d'offusquer le vide de certains textes, c'est aussi, souvent, tenter de cr�er des climats expressifs qui rendent obligatoire la ma�trise de toutes les ressources de l'instrument, mais qui vont bien au-del�. Le catalogue de ces derni�res ici expos� finit par lasser m�me si l'abattage du pianiste canadien s'av�re en tout point remarquable... Mais, de ces �uvres dont la plupart remontent � un pass� fort peu �loign� d'aujourd'hui, en dehors du s�duisant Kal�idoscope �ponyme de Josef Hofmann, que restera-t-il dans quelques d�cennies ? Il fallait nagu�re toute la curiosit� provocante de Stephen Hough, par exemple, pour faire bri�vement rena�tre telle ou telle scintillante mais creuse �tude de Ravinia... depuis lors retomb�e dans la poussi�re de l'oubli.

Dans La le�on de musique (Hachette, 1987), Pascal Quignard �crivait : � Une part de la musique, c'est ce temps travaill� par le temps, c'est ce temps qui tourne le temps, se porte contre lui par les moyens que lui offrent ses propri�t�s m�mes. La musique, c'est un corrig� du temps plus ou moins revenant. En elle, il semble que le temps fasse � lui-m�me retour, qu'il retourne � plus loin que son origine � (p. 57).

Sur le t�moignage des enregistrements ici pr�sent�s et en hommage aux d�dicataires de cette chronique tristement disparus, on parierait volontiers que l'�preuve du temps, seule, comme l'exprimait d�j� Alfred de Vigny, est en mesure de valider � Sur cette terre ingrate o� les morts ont pass� les v�ritables r�ussites de l'art et de la vie �.

Jacques-Philippe Saint-G�rand

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