Henri de Groux (1866-1930), Journal, Ouvrage publi� sous la direction de Rodolphe Rapetti et Pierre Wat, Paris, Kim�, 2007, 326 pages.
Pr�cisons-le d�embl�e : il ne s�agit pas � proprement parler du � Journal � que le peintre Henri de Groux tint entre octobre 1891 et 1928, mais d�une s�lection d�extraits de ce journal, entr� dans les collections de la Biblioth�que de l�Institut national d�histoire de l�art en juillet 2002 et qui conna�t ici une premi�re �dition partielle. L�ouvrage est pr�c�d� d�une introduction o� Rodolphe Rapetti �voque rapidement la vie tumultueuse du peintre, belge de naissance, fran�ais d�adoption, qui, apr�s un s�jour presque ininterrompu en France de 1891 � 1903, revint s�installer en Provence de 1916 jusqu�� sa mort. Rapetti y rappelle les articulations esth�tiques de l��uvre de de Groux, du symbolisme probl�matique des premiers tableaux aux peintures r�alis�es pour la d�coration de l�Op�ra de Marseille, en passant par la sculpture et les Paysages de guerre. Il s�efforce surtout de montrer comment le journal et l��uvre s��clairent mutuellement, sans tomber pour autant dans les clich�s d�une biographie strictement appliqu�e � la lecture de l��uvre, l�instabilit� psychique de l�homme venant illustrer ce qu�il appelait lui-m�me sa � peinture d�ali�n� �. Cette introduction est suivie d�une pr�sentation puis d�une description mat�rielle du journal par Pierre Pinchon, Pierre Wat et Thomas Schlesser. Ces textes d�introduction, assortis d�une chronologie, d�une bibliographie et d�un petit dossier iconographique, suscitent chez le lecteur des attentes que la lecture des morceaux choisis du journal d��oit pourtant quelque peu. Le peintre d�signait son Journal comme � un monstre !... une chose hybride, sans plan v�ritable � (le 1er janvier 1892) et ses �diteurs le suivent en affirmant que � sa forme d�roge � tous les canons du genre et ne para�t ressembler � rien � : la part mat�rielle de l�existence n�y tient selon eux gu�re de place, les informations strictement factuelles demeurent rares. Le texte s�ouvre largement � la polyphonie, des citations, mais aussi des lettres y sont recopi�es, des articles de journaux coll�s (il en va de m�me, � la m�me �poque, dans le Journal de Bloy). Pierre Pinchon et Pierre Wat soulignent surtout, - de mani�re plus int�ressante, tant il appara�t que c�est l� le c�ur de la singularit� de cette �uvre -, combien l��criture du journal fut complexe et combien le r�sultat est �tonnant. Irr�guli�rement r�dig� sur de petits agendas de bureau, le journal compte 18 volumes, certains reli�s et dot�s d�un titre, La Tour de la faim ou Sigillaires. Si cet ensemble pr�sente des doublons pour certaines ann�es, il comporte aussi des lacunes certains cahiers partiellement utilis�s ont �t� compl�t�s apr�s coup, certaines ann�es ont �t� int�gralement retranscrites au propre sur de nouveaux cahiers, accompagn�s de corrections inscrites avec des encres de couleur distincte d�autres, comme l�agenda de 1897, comportent simplement des corrections au stylo datant des ann�es 1926-1928. Le Journal appara�t ainsi comme un texte complexe, sans cesse repris, modifi�, corrig�, augment�, texte dans lequel la lin�arit� chronologique propre au genre du journal est mise � mal. On ne peut que regretter que l��dition propos�e se contente de signaler ces �l�ments, sans permettre r�ellement au lecteur de les saisir de mani�re intime. Plut�t que d�essayer de restituer le texte (ou une partie du texte) dans ses bouleversements chronologiques, ses reprises, ses recopiages (t�che dont on a bien compris qu�elle �tait extr�mement difficile dans les limites d�un ouvrage destin� � un large public), les �diteurs ont choisi un plan th�matique en 4 parties : � L�Art �, � La Vie �, � Le Milieu �, � L�Epoque �. Si les sections ainsi d�finies sont �videmment dignes d�int�r�t, encore que leurs axes se recoupent n�cessairement (tant il est vrai que � la vie � est ins�parable de � l�art � et le � milieu � de � l��poque � par exemple), cette recomposition totalement �trang�re � la structure initiale du texte s�av�re, finalement, � la fois suggestive et d�ceptive. Sans doute est-ce le propre de toute �dition d�extraits : mais l��dition de ces fragments d�un Journal pose de mani�re d�cisive la question de la finalit� de l�ouvrage publi�. Les diverses parties de l�introduction soulignent � cet �gard l�h�sitation des �diteurs : � introduction partielle � la vie et l��uvre d�Henri de Groux �, comme le signale la � note sur l��tablissement du texte � ou document sur l��poque ? R. Rapetti affirme que � la valeur capitale de ce document, malgr� ses relatives impr�cisions, demeure avant tout li�e au r�le d�Henri de Groux en tant que spectateur de l��poque qui fut la sienne �, proposition pr�cis�e plus loin par P. Pinchon et P. Wat qui indiquent que � la premi�re motivation de cette �dition scientifique r�side sans nul doute dans l�apport documentaire majeur de ce manuscrit � l��tude du mouvement symboliste �. Faire d�couvrir de Groux ou mieux faire conna�tre le symbolisme, en prenant pr�texte du journal d�un artiste ? Il semble que les �diteurs n�aient pas r�ellement tranch�, en sorte que l��dition qu�ils nous proposent appara�t � bien des �gards comme une cotte mal taill�e. L�int�r�t documentaire du texte est incontestable, quoique probl�matique. Si les �diteurs soulignent dans leur introduction l�absence � d�un fil. Comment ne pas relever que dans ce livre monstre qui parle de tout, de Groux ne parle pour ainsi dire pas du principal, sa peinture ? �, les textes r�unis dans la section intitul�e � Art � accordent en revanche une part assez importante (et de fait r�ellement int�ressante) aux r�flexions de l�artiste sur son �uvre et sur son art. On ne peut que se demander alors dans quelle mesure cette insistance est ou non conforme � l�esprit du texte. L�introduction insiste de m�me sur le symbolisme mais le lecteur sera peut-�tre moins frapp� � la lecture des morceaux choisis par les r�flexions du peintre sur le mouvement symboliste que par les nombreux d�veloppements concernant Rubens ou Delacroix par exemple. C�est surtout la singularit� de l��uvre qui semble se d�faire dans ce choix de textes priv�s de leur contexte. La volont� assum�e de ne pas chercher � restituer une chronologie d�faillante (si l�on excepte toutefois l�ast�risque qui marque les r�flexions datant des ann�es 20), de ne pas reporter de mani�re visible les changements d�encre ou les effets de correction interdit de rendre compte de l��criture � en forme de temp�te � d�un artiste qui �voquait en 1892 � l�inclination d�une sorte de d�pravation grandiose du sens esth�tique qui (le) portait invinciblement � peindre, � chercher � reproduire dans le maximum de brutalit�, d�intensit�, de cruaut� et de violence, les choses dont (il) n�aurai(t) certes pu supporter la vue... �. C�est cette intensit� qui se perd dans le texte, mais aussi le go�t du mouvement, sans cesse revendiqu� par le peintre (voir dans cette �dition, section � L�Art � le 24 novembre 1897, le 5 mai 1901, le 2 mai 1906...) et vraisemblablement transcrit dans le texte par les reprises et variations. Liss�, ordonn�, le texte �choue � rendre � les Annales de mon involontaire D�sordre �, qu�y reconnaissait l�artiste.
marie-Fran�oise Melmoux-Montaubin |