Jean Lorrain, Lettres � Gustave Coquiot, r�unies, pr�sent�es et annot�es par �ric Walbecq, Paris, Honor� Champion, 2007, 230 p.
�diter, c�est bien bien �diter, c�est encore mieux. Et disons-le tout de suite, cette �dition des lettres de Jean Lorrain (1805-1906) � son confr�re et ami Gustave Coquiot (1865-1926), qui sort dans une collection par ailleurs honorablement reconnue, n�est h�las pas de celles qui pourront servir de r�f�rence. La t�che, il est vrai, n��tait pas mince, et l�ex�cuteur testamentaire de Lorrain lui-m�me, Georges � Normandy � � � l��tat civil, Georges Segaut (1882-1946) � semble bien d�j� s�y �tre cass� les dents. Pas moins de quatre volumes avaient par lui �t� envisag�s, � cela, d�s 1911 �, pour tenter de sauver l�ensemble de sa correspondance d�une pr�visible dispersion et d�un fatal oubli. Or, qu�en a-t-il �t� ? Comme le rel�ve ici fort honn�tement notre pr�sentateur dans sa note liminaire sur l��tablissement du texte, un premier volume parut en 1929, aux �ditions de la Baudini�re, mais pour �tre rapidement et assez myst�rieusement envoy� au pilon le second volume ne d�passa pas le stade des �preuves � jamais publi�, on ne le conna�t qu�� travers la th�se que Pierre L�on Gauthier consacra � Jean Lorrain en 1935, lequel en fit naturellement sa p�ture. Quant au troisi�me, il ne fut m�me pas compos� il n�en reste qu�une copie, en double exemplaire est-il pr�cis�, regroupant pr�s de 300 lettres, dont ces quelque 130 lettres adress�es � Gustave Coquiot. L�aventure �ditoriale pour Georges Normandy en ce qui concerne la correspondance s�arr�te l�, avec juste en sus les Lettres � (sa) m�re, publi�es, on n�ose m�me pas dire � par ses soins �, aux �ditions Excelsior en 1926. Car la question qui jaillit de ce travail manifestement peu scrupuleux et non abouti est : o� sont donc pass�s les originaux qui permettraient aujourd�hui une relecture salutaire ? Hors fouiner � Drouot, l�obstacle est sinon impossible, difficile � franchir, et �ric Walbecq a d�, l�, rendre les armes et se contenter des retranscriptions, disons au moins � approximatives �, de Georges Normandy. L�int�r�t maintenant de ces, donc, 130 et quelque lettres, �crites de 1899 � presque la fin de sa vie, 1905, n�est pas contestable. On d�couvre, dans cette correspondance priv�e, un Jean Lorrain, on ne peut tout de m�me pas dire sans fard, mais disons, qui n�a pas trop � contr�ler sa plume � � supposer encore qu�il la contr�l�t vraiment dans ses articles envoy�s � la presse... �, qui n�a en tout cas pas � craindre par ce canal quelque duel. On y retrouve l�observateur critique, et bien caustique de la soci�t� fin-de-si�cle, voire fin-de-sexe selon la judicieuse expression utilis�e par Phillip Winn dans son ouvrage consacr� aux Sexualit�s d�cadentes chez Jean Lorrain (Amsterdam, Rodopi, 1997), � qui se livre m�me � quelques d�rapages antis�mites, bien de l��poque dira-t-on... On y d�couvre un nouveau Jean Lorrain qui, las des salons parisiens, s�en va chercher ailleurs, si possible au soleil, o� gu�rir ses maux � sur lesquels il reste d�ailleurs assez pudique �, o� poursuivre ses aventures amoureuses, aux moindres risques. C�est ainsi en 1904, qu�apr�s la Corse, il gagnera l�Italie, qui lui fera faire la connaissance, � � Venise, � Florence �, de son architecture et de ses mus�es, mais aussi, � � Milan, � Verone �, des dangers du tourisme dans un pays en proie aux premi�res r�voltes sociales (la peste, ces � scioperi � - gr�ves, on ne trouve m�me plus un � facchino � - porteur !). Voil� d�j� pour l�atmosph�re. Ce que l�on d�couvre surtout, c�est, � travers l��tonnante personnalit� de son destinataire, � que l�on conna�t heureusement par ses nombreux �crits (ses � reportages � parisiens, son travail de critique d�art), � travers un pan de sa vie priv�e (il sera l��poux de la � femme-canon �, Mauricia de Thiers, dont Alain Woodrow a dress� la pr�cieuse biographie � La femme bilboquet, Paris, �ditions du F�lin, 1993), mais qui nous restera ici masqu�e, � aucune lettre directe de Gustave Coquiot � Jean Lorrain ne semblant avoir pu �tre retrouv�e �, ce que l�on d�couvre donc, c�est le laboratoire, la � cuisine � de Lorrain, pour laquelle Gustave Coquiot a manifestement �uvr� plus que comme simple second couteau. C�est gr�ce � Gustave Coquiot que Lorrain, �loign� donc de la vie parisienne, va pouvoir poursuivre ses fameux � pall-mall � (inspir�s, rappelons-le puisque �a n�est pas ici rappel�, de la Pall-Mall Gazette lanc�e � Londres en 1865), et se lancer dans l�aventure th��trale, et pas seulement au Grand-Guignol. L�inventaire de ses pi�ces, revues, op�ras, pourtant souvent �voqu�s, n��tant pas ici fait � sans doute r�alis� par Sophie Lucet dans sa th�se sur Le �Th��tre en libert� des symbolistes (Paris-IV, 1997), que l�on a bien notifi�e, mais que l�on n�a pas ici jug� utile de reprendre �, l��clairage s�en trouve un peu fauss�. Et c�est ici que le b�t commence � blesser... Car nous voil� r�ellement priv�s du plaisir de la lecture. Nous ne saurions, dans l�espace de cet article, nous lancer dans une liste des errata. Disons pour r�sumer, force nous est de constater que le texte, sans doute mal �tabli, a en tout cas �t� bien mal r��tabli les lettres sont pour certaines manifestement mal dat�es (le simple cachet de la poste ou un calendrier perp�tuel suffisaient � corriger) et sont m�me parfois pr�sent�es dans le d�sordre quant aux notes, elles restent souvent peu �clairantes quand elles ne sont pas franchement d�faillantes. Nous ne saurions vous offrir ici qu�un maigre floril�ge, mais, comme on dit, � significatif �. On �corche les noms propres : voil� Georges Boudaille (p. 16), co-auteur avec Pierre Daix du Catalogue raisonn� de l��uvre peint de Picasso, transform� en � Bordailli � � comprenne qui pourra voil� le compositeur italien d�un � Pio Jesu �, donn� � la messe d�enterrement de Lorrain, Alessandro Stradella (p. 220), devenu � Siradella �, et voil� deux assistants aux obs�ques, Lacaze suivi de Duthurs (page 221), qui ne sont en r�alit� qu�un seul homme, G�rard de Lacaze-Duthiers... Ne peuvent que frapper d��vidents pataqu�s, tel ce � Appenzel de carton p�le � pour � Appenzell de carton-p�te � (p. 75), ou ces � crasses � qui sont maintenant devenues des � caresses � (si, si : � J�en oublie les mille et une caresses [sic sans transit...] qu�ils me font au Journal � ! p. 132). Les langues �trang�res ne semblent pas non plus son fort, qui d�clare � ne pas trouver d�explication pour � les Prigs ou mieux les Pigs � (p. 72 n. 114), lors qu�un simple dictionnaire english vous permet de traduire par � les fats ou mieux les porcs �, ou qui retranscrit en italien, sans sourciller (p. 210), � Camerra del Lavorre � pour Camera del Lavoro et � barsagglieri � pour bersaglieri... Nous venons de d�plorer l�absence d�un Index des spectacles con�us par Jean Lorrain, � quoi il faudrait ajouter l�absence d�un Index des spectacles auxquels il a assist� (et qui aurait eu l�avantage de regrouper des notes, d�ailleurs souvent sans suffisante pr�cision) mais si l�on se risque dans l�Index des personnes, lui, apparemment r�alis�, c�est le vertige. Sont manifestement pass�s � � la trappe �, qui n�est pas du souffleur, un bon tiers des personnes ou personnalit�s pourtant clairement �nonc�es. Victimes au premier titre les actrices � quoique les acteurs ne soient pas toujours mieux trait�s �, mais aussi les peintres, illustrateurs, affichistes, d�corateurs les compositeurs, dans la m�me charrette ! Il ne s�agissait pas d�une correspondance, on l�aura compris, purement � litt�raire � alors, en ce cas, on cherche � s�entourer... Jean-Paul Morel |