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Charles de Montalembert, Journal intime in�dit, t. VII (1859-1864), texte �tabli, pr�sent� et annot� par Louis Le Guillou et Nicole Roger-Taillade, Paris, Honor� Champion, 2008, 850 p.
Dans la Revue des deux mondes du 15 octobre 1861, Charles de Mazade constatait que M. de Montalembert avait � tout de l�orateur, except� le don de faire de sa pens�e, de sa parole, un guide pour ses contemporains �, et mettait cette incapacit� cong�nitale sur le compte de son � humeur agressive �. Ce n��tait pas mal vu : le diariste est le premier � reconna�tre � l�irr�parable ruine � de sa � carri�re publique � et son ensevelissement progressif � dans un oubli � profond. Autant dire que cette agressivit� justement relev�e contre des ennemis successifs ou simultan�s (la France � corrompue et exploit�e par la C�sarisme Napol�onien �, son clerg� � infect� par le Veuillotisme, et d�shonor� par le Napol�onisme �, l�Italie, lord Palmerston, Cavour, � cet affreux reptile Sainte-Beuve �, etc.) �clate � chaque ligne de ce journal pourtant, h�las, censur� � de nombreuses reprises par l�auteur lui-m�me, mais qu�elle est largement r��quilibr�e par un regard impitoyable sur soi-m�me. L�incons�quence de l�auteur, qui r��crit ses Ch�timents avec un peu de retard, et reste un franc-tireur m�me dans son propre camp (il semble pr�f�rer nettement la compagnie d�un Jules Simon � celle de tous les �v�ques de France � Mgr Dupanloup except�), s��tend jusque dans sa vie priv�e. Il occupe en effet l�essentiel de son � exil int�rieur � � l�immense composition, qui le fait souffrir et dont l�insucc�s l�atteint, des Moines d�Occident depuis saint Beno�t jusqu�� saint Bernard, destin�e entre autres � r�habiliter le monachisme d�clinant dans l�Europe chr�tienne. Sa fille Catherine se pr�pare-t-elle alors � entrer au couvent ? Le journal se remplit de ses plaintes toutes plus v�h�mentes les unes que les autres contre cet �pouvantable � naufrage �. � Que j�en veux �, ajoute-t-il, � � tous ces imb�ciles de jeunes gens du faubourg Saint-Germain qui ont laiss� �chapper, sans jamais la demander en mariage, cette perle sans prix ! � Marqu�es par la politique italienne de la France et par le Congr�s de Malines de 1863, o� Montalembert remporte ce qui sera peut-�tre son dernier grand succ�s, les cinq ann�es de l�empire triomphant couvertes par ce tome sont aussi celles de la mort de Lacordaire et de la fin de toutes les illusions : l�id�al d�� une �glise libre dans un �tat libre � semble s��loigner de ce monde. Les voyages europ�ens (Allemagne, Hongrie, Pologne, Angleterre, �cosse, Suisse, Chablais avant le rattachement � la France) forment un contrepoint le plus souvent heureux aux d�convenues de la politique. La vie familiale, assombrie par la mort pitoyable et sans gloire, au Maroc, du fr�re unique colonel, est �clair�e par la figure ang�lique d�une derni�re fille de cinq ans, pr�nomm�e G�n�reuse, qui devient une raison de vivre. Excellemment pr�sent� et annot� comme les pr�c�dents tomes, pourvu d�index indicatifs, joliment illustr�, ce Journal intime in�dit est aussi augment� des r�sum�s annuels du diariste r�capitulant ses travaux, les commentaires auxquels ils ont donn� lieu, ses communions, ses invitations � d�ner, ses r�ceptions, ses relations int�ressantes nouvelles ou renouvel�es, ses livres lus ou relus, et sa n�crologie. Tout comme les relev�s quotidiens de la correspondance re�ue et envoy�e, ils t�moignent d�une vie sociale impressionnante par son �tendue, qui couvre tout le clerg� et tout le gotha europ�en, en passant par l�Acad�mie fran�aise pr�sente et future. Les �uvres de Montalembert, �crivait Charles de Mazade dans son article, sont � comme un miroir bris� o� se refl�te encore une des physionomies les plus originales de ce temps � � c�est dire si ce Journal intime, dont l�ampleur et l�int�r�t se d�couvrent peu � peu aux yeux de la post�rit� oublieuse, est bien le chef-d��uvre, de moins en moins inconnu, de son auteur. Jean-Marc Hovasse |