EBGUY (Jacques-David). Pour une Esth�tique du personnage : Balzac et le probl�me de la repr�sentation dans les Sc�nes de la vie priv�e.

Le pr�sent travail examine, � partir de l�analyse des personnages des Sc�nes de la vie priv�e de Balzac, certains modes de cr�ation de " figures esth�tiques" , selon une expression de Gilles Deleuze et F�lix Guattari, en tentant d��chapper � la r�ductrice alternative personnage-image d�une personne/ personnage-fonction narrative qui nie la r�sistance qu'oppose l'�uvre � toute entreprise d�appropriation. Si la question du personnage, un temps n�glig�e par les �tudes litt�raires, est devenue plus r�cemment l�enjeu d�un nombre impressionnant de discours, c�est pr�cis�ment parce qu�elle trouve en amont et en aval de l'�uvre, la reconnaissance de son importance. Alors m�me que les personnages ne sont a priori que des �tres de papier, des g�n�rations de critiques l�ont r�p�t� au cours du XXe si�cle � la suite de Paul Val�ry, il semble que la force esth�tique de certaines �uvres s��prouve d�abord par leur biais.

Les Sc�nes de la vie priv�e balzaciennes, d'o� le choix de ce corpus, mettent particuli�rement en �vidence que la question du personnage est, aux yeux du romancier, �troitement li�e � ses choix formels et � sa probl�matique g�n�rale. Chez Balzac, la forme-sens qu�est le personnage se d�ploie avec une puissance, une vari�t� et une ambition telles qu'elles obligent � d�placer l�image qu�on donne traditionnellement de l'�uvre du romancier.

Les questions dont nous partons sont donc les suivantes : en quoi des personnages sont-ils l�objet d�une cr�ation, en quoi participent-ils du projet esth�tique des romanciers? Comment expliquer le poids de " vie" dont certaines figures sont porteuses aux yeux des lecteurs? Guid� par ces interrogations, le travail critique et th�orique pourrait t�moigner d�une fid�lit�, certes forc�ment relative, � la tonalit�, l�orientation formelle et th�matique d�une �uvre.

Il s'agit plus g�n�ralement de tenter de construire une " Esth�tique du personnage" . La formule, � la valeur presque programmatique en un sens, est � entendre comme un pari sur la possibilit� d�aborder le personnage non comme l�image d�une personne, non comme un signe, non comme un pion dans un syst�me actantiel, mais comme un ph�nom�ne esth�tique. Cela suppose, � nos yeux, quatre conditions. Le personnage est d�abord le r�sultat d�une composition. Il est, dans son d�ploiement textuel, constitu� de morceaux disjoints, d��l�ments appartenant � des plans de signification diff�rents qui sont mis en rapport. La composition articule des parties, les fait coexister. Un objet sera donc dit esth�tique s�il est constitu� en totalit�. Cette totalit� peut d�ailleurs �tre ouverte ou inachev�e : parce qu�il y a dissym�trie entre le personnage et le narrateur, la " r�alit�" du premier est toujours potentiellement finie. Troisi�me trait que nous retiendrons pour notre d�finition pr�alable et volontairement composite du ph�nom�ne esth�tique : la mise en jeu de " proc�d�s" , c�est-�-dire de dispositions singuli�res du mat�riau, pour que l�objet repr�sent� ne puisse, � cause de l��paisseur sensible et signifiante de sa forme, �tre imm�diatement ramen� � du d�j� per�u, � du connu ou � du connaissable. Mais si l�objet esth�tique est celui qui est " per�u" autrement, il est aussi, r�ciproquement, celui qui fait percevoir autrement. L�activit� esth�tique en effet, est une mani�re de faire qui d�place les fronti�res du significatif et du sensible, qui d�coupe autrement ce qui est. Cet aspect de la dimension esth�tique nous para�t d�autant plus important qu�il est au c�ur de la pratique balzacienne du roman. Dans sa volont� de pr�senter le tout de l�univers social, le romancier, en effet, con�oit et fait signifier les identit�s autrement. Balzac distribue le sens et les discours selon des modalit�s singuli�res. Compos�, constitu� en totalit�, singularis� et reconfigurant le sensible : c�est en gardant � l�horizon de notre r�flexion cette approche possible du ph�nom�ne esth�tique que nous consid�rons le personnage. Au fondement de cette investigation, � mi-chemin entre la th�orie et la critique : la volont� de faire de l�interrogation sur le personnage, sur la mani�re dont est (d�)construite son identit�, un enjeu critique d�importance.

Notre premi�re partie, � valeur introductive et intitul� " Le personnage en questions" , cadre le mode selon lequel est abord�e cette probl�matique. On proc�de � un rapide bilan des principales conceptions du personnage dans la critique moderne pour en signaler les limites par rapport au probl�me de la port�e esth�tique de la notion. Notre projet critique, son champ d�application et la conception de l'�uvre sur laquelle il repose sont ensuite rapidement abord�s. L�assimilation personnage-�tre r�el est certes refus�e mais le maintien de la s�paration entre ordre de l�art et ordre du monde ne nous am�ne pas � consid�rer le personnage uniquement comme un signe, d�fini par un signifiant et une " �tiquette s�mantique" . Dans ce discours qu�on pourrait dire s�miologique, le m�me relatif oubli de la dimension esth�tique se retrouve, puisque le personnage devient un syst�me d��quivalences destin� � assurer la lisibilit� du texte, selon cette id�e contestable que l'�uvre romanesque se pr�sente comme un message compos� d�informations communicables. Nous concentrons pour notre part l�attention sur l'�uvre et non sur son r�cepteur, le lecteur. Attention � l'�uvre ou, pour �tre plus pr�cis, au roman et donc � la multiplicit� des modes de caract�risations du personnage.

Nous envisageons ensuite, dans le deuxi�me chapitre de notre premi�re partie, pour en venir au champ d�application de notre r�flexion, en quels termes Balzac pense la question du personnage. Les moyens dont use l'auteur de La Com�die humaine pour " composer" ses personnages sont � rattacher � la question centrale de la possibilit� de repr�senter le social, c'est-�-dire de faire appara�tre des diff�rences dans l�univers social en voie d�uniformisation. Aux yeux de Balzac, la menace est double : celle d�un univers illisible parce que toutes les classes, les identit�s se m�langent, que tout devient ind�chiffrable, parce que les diff�rences ne peuvent plus �tre fond�es en nature celle d�un univers illisible, parce que menac� de platitude, sans distance et donc sans opposition, sans diff�rence. L'�uvre est con�ue dans cette perspective comme r�ponse � un �tat du social dont elle doit faire appara�tre la possible repr�sentation ou pr�sentation. Par repr�sentation on entend donc la mise en �uvre d�un paradigme, d�une logique de composition, destin�e � configurer un objet esth�tique en r�ponse � une vision donn�e de l��poque.

Mais contrairement � ce que pose le discours dominant sur Balzac, le travail de composition du personnage ne consiste pas seulement � montrer, par une triple d�marche ��rendre signifiantes l�ensemble des d�terminations qui lui sont attribu�es, le particulariser sur le mod�le d�un individu, rapporter ces traits � des cat�gories plus g�n�rales, selon une logique " scientifique" de la connaissance �, que la repr�sentation est possible. L�invention des personnages passe, dans l'�uvre prot�iforme du romancier, dont les Sc�nes de la vie priv�e nous offre une image r�duite, par l�adoption de plusieurs modes d�intelligibilit�, contradictoires parfois, compl�mentaires souvent. On peut distinguer deux mani�res de remettre en cause la repr�sentation traditionnelle : Balzac s�attache d�une part � la correspondance imm�diate entre signifi� abstrait �le caract�re, la nature du personnage, son identit� � et le signifiant sensible � l�apparence physique, le d�cor du personnage � est d�faite ou, tout au moins, devient probl�matique. Les signes peuvent �tre opaques, mensongers ou �quivoques. On ne saurait certes parler, � propos de ces proc�dures, d�une remise en cause radicale du principe sur lequel repose la construction de la figure balzacienne � tout objet, tout ce qui entoure ou concerne le personnage est un signe servant � le d�finir � mais elles font appara�tre que le d�chiffrement peut �tre diff�r� ou emp�ch�.

Cela suffit seul � donner au personnage un autre statut, � en faire l�objet d�une interrogation. D�o� la n�cessit� du r�cit comme d�roulement syntagmatique du texte. L�id�e selon laquelle le signifi� d�un personnage tout comme son signifiant sont diss�min�s tout au long d�un roman, jusqu�� sa derni�re ligne, est ici � entendre � la lettre. En fait, le romancier part de la difficult� � pointer les diff�rences, � les faire surgir � donn� de son syst�me de repr�sentation � pour inventer une nouvelle ou une autre mani�re de composer les personnages, et faire de l�identit� l�objet d�une (en)qu�te. Notre travail d�crit les proc�dures par lesquelles le personnage est " d�pli�" , �clair� progressivement ou brusquement. Aussi peut-on opposer le paradigme scientifique de construction du personnage qui consiste � ordonner, rationaliser la multitude d��l�ments signifiants sollicit�s, � ce mod�le herm�neutico-narratif qui part d�une absence de sens, fonde l�intrigue sur la disjonction et le don diff�r� des �l�ments constitutifs du personnage. Ce dernier est davantage attendu que contempl� et cette attente en grandit la stature. L�identit� n�est alors plus donn�e, mais construite par le d�roulement du texte. Parfois, c�est le deuxi�me temps de ce premier chapitre de la partie, la qu�te du personnage ne va m�me pas � son terme. Le sens est comme suspendu.  Le personnage n�est pas que cette �nigme dont le texte doit, � travers les m�andres sinueux d�un d�roulement narratif et discursif complexe, d�voiler, in fine, le mot. Le " personnage-myst�re" n'est pas le " personnage-�nigme" . Si l�on sch�matise, on dira que le principe de l��nigme est que la question pos�e porte sur un point pr�cis et trouvera sa r�ponse  : la r�v�lation de l�identit� n�est que repouss�e. Le principe du myst�re est qu�aucune question ne peut le circonscrire avec exactitude  : l�identit� est alors insaisissable en son fondement. Ne se d�gage qu�une image floue du personnage � point d�opacit� d�finitif au sein de l'�uvre.

Cet effet de brouillage peut aussi �tre la condition de la libert� du personnage -au sens d�une marge de man�uvre non programm�e. En fait, nous reprenons sur ce point les analyses bien connues de Sartre, les personnages balzaciens peuvent �tre construits, par un jeu sur les focalisations et par la prise de distance du narrateur, comme des " libert�s" . Leurs actions et r�actions ne sont pas justifi�es et pas expliqu�es. Le personnage devient donc la source d�un romanesque sp�cifique, li� aux jeux de variations d�atmosph�re psychologique, aux surprises caus�es au lecteur, � la transformation de la perspective sur le probl�me �tudi�.

Nous soulignons enfin que l�id�e propre � la modernit� romanesque qu�il n�y a de parcours de lecture possible que gr�ce aux blancs qui �maillent un texte  est d�j� en un sens mise en pratique par le texte balzacien. C�est que la constitution du personnage ne se fait plus simplement par la poursuite des attributs ou la recherche de l�origine des comportements �voqu�s. Balzac adopte un autre r�gime d��criture qui ne s�indexe plus sur du narratif ou du d�ductif. Au fond, le myst�re est un effet de suggestion. En ne conf�rant pas au personnage un statut absolument d�fini, il s�agit de faire entendre qu�il y a un au-del� du " visible" , et m�me de ce qui est dit. Cet au-del� n�est pas pens� dans la r�f�rence � l�in�puisable richesse de l��me humaine, mais en termes esth�tiques � l�effet de trembl� de sens comme �quivalent au clair-obscur pictural. L�existence de l�arri�re-plan sugg�r� � l�horizon du personnage, permet �galement d'en compliquer la perception, de court-circuiter le fonctionnement habituel de la signification. Le langage ne dit alors rien d�autre que  : il y a du myst�re, ce qui, tout � la fois, d�signe et dissimule le personnage �voqu�. L�impossibilit� ou plut�t le refus de nommer est exploration des puissances propres de la litt�rature, de la sp�cificit� de ce langage non assertif qui doit ici viser � c�t� pour atteindre sa cible  : la cr�ation d�un personnage. Le " personnage-myst�re"   n�est alors plus un personnage qui a des secrets � d�termination psychologique qui peut avoir des cons�quences narratives � mais un personnage qui est un secret.

Ce chapitre montre donc comment des figures d�un autre type se dessinent, faites de pr�sence et d�absence, construites sur un �cart � entre la d�finition du personnage et son comportement, entre le personnage et lui-m�me, entre les composantes m�mes du personnage � r�sultats d�une double relativisation  : du c�t� du discours qui �nonce � discours fragilis�, incertain � et du c�t� de l�objet � il y a de l�ind�chiffrable, de l��quivoque, de l�impr�visible. Il s�agit, plus globalement, d�affecter la repr�sentation d�un trouble, d�un tremblement.

Ainsi relativis�e, l�identit� du personnage ne peut plus �tre d�finie comme une substance, immuable, d�finie une fois pour toutes par un regard objectif. Le deuxi�me chapitre de notre deuxi�me partie montre la mani�re Balzac dont s�attache � " d�substantialiser" ses figures, en fragilisant les d�terminations qui les constituent d�une part, en pr�sentant leur existence sociale davantage que leur nature profonde d�autre part.

Dans un premier temps, nous montrons la relativit� ou la fausset� possibles des traits attribu�s aux personnages. Ces derniers sont d�peints en action, en mouvement, dans un espace-temps pr�cis qui d�termine le visage qu�ils offrent au lecteur. Produits d�une vision esth�tis�e ou explicitement rapport�es � une parole et un regard fortement subjectifs, ces figures ne sont rien d�autre que des images. A un premier niveau, le probl�me pos� n�est pas tant que l�image soit trompeuse mais qu�elle demeure une image, qui ne peut englober tout ce qui constitue le personnage. Du personnage nous est peut-�tre donn�e une image juste, mais c�est juste une image. Mais l��uvre balzacienne admet m�me parfois, � sa limite, la possibilit� de ne faire de la figure rien d�autre qu�une image. " Juste une image" qui est peut-�tre une " image juste" . On se situe ici dans une logique qui n�est plus celle de la connaissance, qu'elle soit expos�e ou emp�ch�e. Le " personnage-image" est pr�sent� comme une repr�sentation, belle certes, mais fragile  : il suffirait, ou suffit, sugg�rent les textes, d�un discours narratorial, d�un autre �clairage, pour d�faire l�harmonie exhib�e. Mani�re de signifier peut-�tre que le personnage n�est parfois gu�re plus qu�un " fant�me construit avec des phrases" (Une fille d�Eve, La Com�die humaine, Gallimard (Pl�iade), t.II, p. 375). Certes, Balzac pousse rarement � son terme ce mode de construction de la figure : il n�en reste pas moins que cet ensemble de proc�d�s constitue un de modes possibles de la construction du personnage, con�ue comme repr�sentation d�une repr�sentation.

Dans un second temps, on souligne que Balzac abandonne parfois une vision morale des identit�s : le personnage n�est plus pens� sur le mod�le d�un individu d�fini par son caract�re et dot� d�une biographie, mais est consid�r� dans sa participation � la vie sociale. Cette voie qui privil�gie la probl�matique socio-historique, promeut �galement la part fluctuante du personnage. En fait, la pr�sentation de la figure appara�t tributaire d�un diagnostic port� sur la soci�t�. L�univers social est ici caract�ris� par son instabilit�, d�o� des identit�s qui ne cessent d��voluer, de se renverser. Faire le portrait ou d�crire les actions d�un personnage situ� dans cet univers, c�est montrer ce que certains sociologues appellent ses atouts ou ses handicaps " interactionnels" , son savoir-dire, son savoir-faire, son savoir-appara�tre. Le milieu, l�ext�rieur ne sont pas simplement ce qui influence le personnage et fa�onne son identit�, c�est ce qui en porte l�empreinte, ce qu�il b�tit selon ses int�r�ts. Les personnages sont en repr�sentation : ils n�ont pas une identit�, ils se la construisent. Le personnage balzacien peut d�s lors �tre d�fini comme un acteur qui joue son r�le sur la sc�ne du monde, en accord avec la th�matique baroque du jeu sur apparence et r�alit�. La distinction s�efface d�ailleurs, lorsque les personnages-acteurs, passant de r�le en r�le, apparaissent comme de purs dehors sans identit�, d�finis par leurs relations toujours r�versibles aux autres. Un personnage joue plusieurs r�les, plusieurs personnages ont le m�me r�le, les adjuvants sont en fait des opposants. Mais les masques endoss�s par les figures sont parfois emprunt�s � d�autres formes de repr�sentation, comme si elles ne faisaient que rejouer des sc�nes d�j� jou�es. Peut-�tre est-ce l�ultime mani�re de " d�substantialiser" les personnages, de les d�r�aliser : en faire des r�pliques modernis�es d�autres personnages, vus au second degr� les re-pr�senter, c'est-�-dire pr�senter de nouveau leurs r�les.

En fait, la repr�sentation est ici compliqu�e par l� " �cran" cr�� entre le lecteur et la figure : tout se passe comme si nous ne pouvions avoir qu�une approche m�diatis�e du personnage, " brillant fant�me" paradant sur la sc�ne du roman mais toujours menac� de sombrer dans l�inconsistance.

Le troisi�me et dernier chapitre de notre deuxi�me partie est consacr� � la volont� balzacienne de partir de la fragilit� et de la r�versibilit� possible des d�terminations pour mener un travail de complexification. Ce travail consiste d�abord � diversifier toujours plus les biais par lesquels est abord� le personnage. D�sign� par des termes contradictoires, d�fini par des d�terminations qui s�opposent, au moins en apparence, celui-ci devient � proprement parler un compos�, un " personnage-carrefour" . Il illustre la reconfiguration des identit�s sociales et met en �vidence les contradictions du social. C�est en fait dans une perspective totalisante qu�il est alors consid�r� puisqu'on veut en  faire voir toutes les facettes. Le romancier propose au lecteur une s�rie d�images, comme les peintres cubistes, et fait donc jaillir du personnage une multiplicit� de sens qui se superposent. Le personnage, suite d�images composites, relevant de registres disparates, gagne une profondeur qui n'�tait pas forc�ment la sienne � son entr�e dans la fiction.

Dans le deuxi�me temps de ce chapitre, est analys�e la sp�cificit� d'une temporalit� romanesque qui contribue � nourrir cette diversit� parfois contradictoire des manifestations textuelles du personnage. Si dans le syst�me de repr�sentation traditionnel, les transformations d�un personnage sont r�f�r�es � une causalit� d�ordre psychologique, garante de la permanence de son identit�, et dessinent une trajectoire ordonn�e, dans cet autre r�gime de repr�sentation les changements, les contrastes �tablis entre ses diff�rents �tats ne sont plus justifi�s. L��toilement dans un temps " d�chronologis�" des traits qui constituent le personnage les emp�che de se raccorder entre eux. La figure est le produit d�une temporalit� �clat�e, non lin�aire, dans un ordre des coexistences, plus que des successions. Le principe du retour des personnages dans La Com�die humaine n�est que l�exemple le plus frappant de cette volont� du romancier de les construire comme des totalit�s ouvertes et insaisissables. Se trouve v�rifi�e, � propos du personnage, une loi du r�el �nonc�e par Balzac : " Il n�y a rien qui soit d�un seul bloc dans ce monde, tout y est mosa�que" (Pr�face d�Une fille d�Eve, La Com�die humaine, Gallimard (Pl�iade), t.II, p. 265). D�un c�t�, le texte balzacien, r�sultat du croisement de diff�rents discours, refuse l�id�e d�un dernier mot qui porterait sur la lettre du personnage � du personnage comme objet, comme r�f�rent du langage � d�o� cet �miettement des discours et des r�cits � ce niveau � en surface, l� o� le centre de gravit� du sens ne cesse d��tre d�plac� � le personnage, � la crois�e de s�ries h�t�rog�nes de d�terminations, semble voltiger de discours en discours " comme un mot vainement cherch� qui court dans la m�moire sans se laisser saisir. " (La Peau de chagrin, La Com�die humaine, Gallimard (Pl�iade), t. X, p. 294). De l�autre, l�id�e d�unit�, d�articulation possible des diff�rents traits au sein d�une totalit� demeure � l�horizon du texte. Le personnage appara�t comme la r�sultante dynamique de ses �l�ments composites davantage que leur somme statique.

Au fond, le temps est ce qui relie, tout en les laissant � leur h�t�rog�n�it�, les diff�rents visages des personnages, les diff�rents discours qu�ils produisent ou suscitent. Deleuze appelle " complication" ce principe de coexistence de parties asym�triques et qui ne communiquent pas directement. D�s lors la prise en compte de l�existence dans le temps du personnage appara�t peut-�tre comme la forme ultime de la complication de la repr�sentation, par laquelle Balzac t�moigne du vacillement du syst�me de repr�sentation et des identit�s traditionnelles.

Dans notre troisi�me partie, intitul�e " Le personnage recompos�" , nous �voquons la mani�re dont Balzac, adoptant une autre logique de composition, r�pond � la menace d�indiff�renciation et d�affaiblissement de la puissance figurale de la fiction dont est porteuse la soci�t� contemporaine, par l��l�vation de certaines de ses figures au statut de diff�rences absolues.

Certes, Balzac souligne l�impossibilit� de l�h�ro�sme con�u sur le mod�le de l�antiquit� dans la soci�t� contemporaine. On a d�ailleurs souvent d�fini l��ge de la d�mocratie comme celui de la fin de l�h�ro�sme, et le genre romanesque comme critique des illusoires envol�es de l��pop�e. Aussi certains r�cits balzaciens, d�dramatis�s, envisageant les personnages de l�ext�rieur ou, � l�inverse, jouant de l�analyse psychologique pour les caract�riser n�gativement, les r�duisant souvent � leurs paroles et mettant en sc�ne l��chec de leurs entreprises, semblent-ils r�pondre � la vacuit� ou la m�diocrit� diagnostiqu�es de l��poque par la composition de personnages tout aussi moyens et m�diocres.

En fait si de l�h�ro�sme demeure chez Balzac, c�est un h�ro�sme qui ne renvoie � aucune valeur sociale, � aucun groupe dont le personnage serait le repr�sentant. Le " h�ros" n�est plus un h�raut, mais simplement un personnage saillant, " mis en relief" par une s�rie de proc�dures que nous d�crivons dans le premier chapitre de notre troisi�me partie.

Au niveau de l�histoire, le personnage " important" est pr�sent� comme celui qui affronte le monde. Il est d�fini par son d�sir et par ses actions, par sa lutte contre une soci�t� dont les valeurs sont d�nonc�es. D�ailleurs, le " personnage-d�bris" , reste d�un autre temps, particuli�rement mis en valeur dans l�univers balzacien, est pens� comme la mauvaise conscience de l��poque, qui, � cheval sur deux temps, vient la hanter et d�placer les syst�mes d��valuation qui l'organisent. Au niveau de la composition m�me du roman, certains personnages sont distingu�s. Leur entr�e en fiction entra�ne un changement aussi bien de la nature du texte � on passe du descriptif au narratif par exemple � que du style adopt�. Ils contrastent avec les autres protagonistes comme avec le milieu auquel ils appartiennent. D�ailleurs est d�volu � un protagoniste le r�le de m�diateur entre le narrataire et la figure grandie. Rendu pr�sent mais demeurant myst�rieux, le personnage " � part" tient � distance le lecteur et �chappe � toute explication, � tout jugement d�ordre axiologique ou id�ologique. En fait, le discours du narrateur ou du personnage-focalisateur ne d�chiffre ni ne d�fait la figure, il glorifie pour lui rendre justice, pour en prendre la mesure, le personnage isol� et transfigur�. La repr�sentation devient alors " fabulation" , pour reprendre une expression de Bergson, au sens de fabrication de g�ants. L��criture balzacienne de la voyance, qui recourt aux hyperboles et aux images, fait appara�tre une figure fantastique, fantasmagorique ou mythologique, au-del� des premi�res �vocations plus informatives. Il s�agit de rechercher l�extraordinaire derri�re, ou plut�t, dans l�ordinaire, le saillant dans ce qui existe en surface.

Ainsi, le " h�ros" , l��tre " � part" , est constitu� par le texte romanesque, par effet de diff�renciation, d�intensification et d�accentuation plut�t que par l'�nonciation d�une essence stable. Le personnage doit se d�tacher, s�imposer � l�esprit, sans plus de r�f�rence au r�el ou aux syst�mes d�appr�hension qui permettent de lui attribuer une fonction, une signification, une valeur imm�diates. On retrouve une des composantes de la d�finition en ouverture de l�objet esth�tique. Constitu� en centre de l'�uvre, rendu gigantesque, le personnage conquiert alors sa diff�rence.

Peut-�tre est-il toutefois insuffisant de d�finir le personnage important de la sorte. Le discours romanesque, � l�inverse du discours social, ne se contente pas de poser la diff�rence : il faut lui donner un contenu, la fonder, pour que v�ritablement les figures participent � la production de sens des textes et " survivent" � leur mod�le, comme le souhaitait Balzac. Notre ultime chapitre interroge le contenu de cette Diff�rence.

Pour Balzac, ne demeure que ce qui s��l�ve au degr� de g�n�ralit�, d�abstraction de l�id�e. Le type, dans cette perspective, est le nom donn� au personnage qu�une Id�e traverse de part en part : tous ses �l�ments constitutifs s�y rapportent en effet. L�Id�e est en fait � la fois int�rieure et ext�rieure au personnage. Il s�agit alors moins de remonter � la cause premi�re que de d�ployer les torsions de cette id�e qui s�implique dans les plis d�un " �tre fictionnel" . Nous appelons " probl�matique existentielle" , � la suite de Georges Blin et Milan Kundera, ou " essence" , cette torsion de l�Id�e et la distinguons de la notion de " nature" du personnage, dicible en termes psychologiques et existant hors du texte. Tel est donc le sens du terme Essence  : configuration de traits saillants mettant en jeu une id�e probl�matis�e.

La prise en compte de la structure essentiellement dramatique du roman balzacien, qui s�organise autour de sc�nes fortes, de moments de crise, nous conduit � penser la sp�cificit� de l�exposition de l�essence. Elle n�est pas d�voil�e progressivement, mais manifest�e, � son point d�intensit� extr�me, dans les sc�nes-cl�s du roman. Le personnage prend la parole ou se montre, tout entier � la passion ou au probl�me qui le constitue et le d�porte hors des limites de son identit�. La composition du personnage sur ce mode nous invite en fait � penser diff�remment la totalit� que chercherait � saisir le romancier. Cette totalit� qui n�est plus pens�e comme addition de parties diverses, ne rel�ve pas d�une appr�hension analytique. Elle est ce qui ne peut se diviser. Si d�un c�t� la totalit� extensive du personnage ne peut �tre atteinte ou nomm�e compl�tement, de l�autre, le trait constitutif du personnage, l�essence singuli�re de la figure � et c�est ici un imaginaire de la profondeur qu�il faut mobiliser � peuvent �tre, par un raccourci saisissant, sugg�r�s et non expliqu�s au lecteur. Il s�agit atteindre l�Un qui dit la probl�matique du personnage, la qualit� qui affecte la totalit� de son �tre et qu�il incarne totalement. D�s lors la multiplication des images, l��clatement de la figure dont nous avons vu qu�elle �tait la forme ultime de la complication de la repr�sentation peut prendre un autre sens. L�Id�e pas nomm�e, pas localis�e, existe, � l�int�rieur d�une m�me �uvre ou selon le principe du retour des personnages, au point de rencontre ou plut�t � l�horizon de ces images. Aucun r�cit, aucune image n�en �puise le contenu. Si un processus de diffusion, de diss�mination et de suggestion peut �tre � l'�uvre dans la construction du personnage, ce qui est sugg�r�, diffus�, est une essence, une Id�e que certaines sc�nes vont manifester soudainement.

Ainsi, dans notre perspective qui envisage l'�uvre dans son ind�pendance par rapport au cr�ateur et au lecteur, le personnage trouve son unit� dans l�Id�e qui le fonde. Une Id�e rendue sensible et trait�e comme probl�me, cela pourrait �tre une des d�finitions du personnage, alors v�ritablement " saillant" . La repr�sentation devient n�cessaire et trouve son sens.

Le dernier mouvement du chapitre propose rapidement une autre approche du personnage qui d�coule de ce qui pr�c�de. Moins donc d�crire la m�thode de composition de la figure qu�essayer de formuler une d�finition de l��tre finalement produit par le texte. Il se d�roule en trois points.

Le personnage est d�abord d�fini comme une " singularit�" , situ�e entre le particulier et le g�n�ral, en ce lieu o� il est d�autant plus lui-m�me qu�il est typique, habit� et model� par la puissance de l�Id�e sans en �tre le simple r�ceptacle. Singularisation nomme ce mode de composition  concevant la particularisation non comme adjonction d�un d�tail, d�une diff�rence sp�cifique mais comme une exhibition dramatis�e du mode selon lequel le personnage est porteur d�une Id�e, et  typification cette �l�vation, avec intensification de ses " qualit�s" , de la figure. Le personnage singulier est alors ce personnage apparemment d�termin�, � qui, finalement, il ne manque rien et qui pourtant gagne un autre plan, celui qui le fait s�identifier � une Id�e. La singularit� conjoint donc la consistance de la forme saillante, et la r�sonance d�un infini ind�fini en expansion.

Le personnage peut �galement �tre consid�r� comme l�incarnation d�une possibilit� de vie. Le roman d�plie, d�veloppe et enveloppe les mondes possibles impliqu�s dans les personnages donn�s d�abord comme lieux s�mantiques et rep�res narratifs. Il y a invention d�un personnage pour comprendre une possibilit� de l�existence, une situation existentielle encore inconnue. Le monde qu'il enveloppe n�est donc en rien r�ductible � un simple �tat psychologique ou � une subjectivit� souveraine. A chaque personnage, individualis� par sa " probl�matique existentielle" , correspond un style de vie, une proposition d�existence. On comprend par l� le poids que peut acqu�rir le personnage aux yeux du lecteur, dans ce qu�il y a de plus intime en lui, poids qui n�est ni celui d�un �tre r�el, ni celui d�un pur signe langagier : en cr�ant des personnages, le romancier pr�sente des nouvelles fa�ons de vivre et de sentir en r�ponse � des probl�mes qui sont explor�s plus globalement � l��chelle de l'�uvre.

Mais � s�en tenir � une d�finition du personnage comme univers possible, sans doute maintient-on la suj�tion du personnage au r�el, le " possible" �tant con�u comme une image du r�el non encore r�elle, comme ce qui peut devenir r�el � tout instant. Aussi se propose-t-on de d�finir finalement le personnage comme un univers " virtuel" , � le terme est emprunt� � Deleuze � relevant de l�Id�e, du symbolique sans �tre fictif, parce que construit selon une n�cessit� d�ordre esth�tique, sans que son rapport au r�el soit pens� en termes r�f�rentiels. Et sans doute, est-ce, au-del� m�me de la question du personnage, sur ce mode qu�existe l'�uvre d�art et qu�elle est une promesse d��ternit�. " Id�el" et esth�tiquement compos� : c�est le personnage devenu r�alit�, le personnage retrouv�.

Notre conclusion rassemble d�abord les indices concordants de la possibilit� d�un discours esth�tique sur le personnage. Il est produit par la mise en rapport, la composition sans cesse recommenc�e d��l�ments constitutifs, relevant de niveaux structurels et de " lieux" textuels vari�s. Il est ensuite construit comme une totalit�, substituant � la n�cessaire limitation de tout objet r�el, la richesse d�une d�multiplication des perspectives (le " personnage complexe" ) que subsument les liens transversaux et id�els qui s��tablissent entre ses composantes. Il est singularis�, tant�t par les questions qui s�attachent � lui, par le myst�re qui le nourrit (le " personnage libre" et le " personnage-myst�re" ), tant�t par sa mise en relief et par sa probl�matique existentielle. El�ment capital du projet du romancier de (re)pr�sentation du r�el, il reconfigure l�espace sensible enfin, par sa mani�re de d�placer les identit�s, d�en fragiliser les d�terminations ou d�en pointer les contradictions et surtout par sa mani�re d��tre, sur la sc�ne du drame que devient le roman, le nom d�une r�gion du " monde des Id�es" .

Nous soulignons ensuite qu�il ne saurait �tre question de r�tablir in fine, une hypoth�tique coh�rence de la po�tique balzacienne. L�attention au personnage et aux diverses logiques ou r�gimes de sens par lesquels il est appr�hend� a permis en effet de prendre la mesure de la diversit� du texte balzacien, qui sans cesse d�borde les limites qu�il semble s��tre fix�. D�o� une s�rie d�oppositions, de lignes de tension � entre le fragment et le tout, entre l�homog�ne et l�h�t�rog�ne, entre la " force" et la " forme" - dont la cr�ation du personnage porte des traces pour mieux en d�signer le possible d�passement. D�o� �galement la n�cessit� de repenser la place de Balzac dans l�histoire du roman. En articulant certains de ses textes autour de la puissance d�un probl�me, mis en jeu et incarn� dans un ou des personnages clairement d�termin�s, Balzac r�tablit des lignes de forces structurantes, lisibles, tout en maintenant ouvert l��lan du sens, dans l��parpillement horizontal ou dans la recherche d�une profondeur intensive.

Nous dressons pour finir un rapide bilan, en accord avec la probl�matique dont nous �tions parti, de la question de la repr�sentation. Celle-ci, n�est pas seulement, sur le mod�le de la mimesis aristot�licienne, l��laboration de structures intelligibles, d��lots de sens en r�ponse au chaos et � l�indiff�renciation du monde contemporain.  La complication de la repr�sentation ou son exacerbation supposent une repr�sentation adoss�e au chaos, qui rend saillant, dans l�unit� dynamique de l'�uvre, l��clatement des formes. Repr�senter, pr�senter un monde, consiste en fait aussi � en interroger le fonctionnement, � partir d�Id�es mises en textes et probl�matis�es. Il s�agit certes de " rendre pr�sent" mais sans dissiper la brume qui entoure les �l�ments signifiants, sans s�affranchir de l��clat aveuglant de l�essence manifest�e.

Le d�placement op�r� ici par Balzac nous para�t essentiel . La repr�sentation est associ�e chez lui, dans la construction du personnage, � la constitution d�un nouveau r�gime d��criture, qui abandonn�e la disjonction discours/r�el. Exemplairement avec Balzac, l�entreprise du romancier peut se d�finir comme discours du r�el  et non sur le r�el, parce qu�elle adopte la forme m�me de l�objet de la pr�sentation. Elle illustre �galement la capacit� de la litt�rature romanesque figurative � �tre bien autre chose que du langage, � d�placer les fronti�res de l�univers sensible et intelligible pour atteindre, dans une sorte de passage � la limite, � l�Id�e ou la Vision. Le personnage est transform� en objet esth�tique, la repr�sentation, grandie par l��preuve, est sauv�e.

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