Isabelle Michelot R�cit romanesque et th��tralit� dans les sc�nes de la vie parisienne et le "cycle de Vautrin" d'Honor� de Balzac Th�se soutenue parle 30 novembre 2002
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POSITION DE TH�SE Dans une lettre � Mme Hanska, Balzac d�finit l'entreprise romanesque de La Com�die humaine en ces termes : "Les moeurs sont le spectacle, les causes sont les coulisses et les machines. Les principes c'est l'auteur. Certes, on pouvait voir dans l'emprunt fait au vocabulaire du th��tre une simple m�taphore, au demeurant, courante � cette �poque. En effet, la vision du monde au prisme du theatrum mundi n'apparaissait pas comme sp�cifique � Balzac, nombre d'auteurs contemporains y recouraient aussi. Cependant, � l'origine de ce parcours, il y eut l'intuition que l'omnipr�sence du r�f�rent th��tral dans l'oeuvre balzacienne ne relevait pas seulement de l'ordre m�taphorique, auquel on tendait � le restreindre. Il y avait l� davantage : une pens�e du monde singuli�re qui percevait la vie sous les esp�ces de l'action, du drama ; une matrice imaginaire � la gen�se de l'�criture de l'oeuvre. Si l'on en vint � tenter de penser le texte balzacien, et plus sp�cifiquement les Sc�nes de la vie parisienne et le "cycle de Vautrin", au prisme de la notion de th��tralit� du r�cit, c'est que cette notion, par sa nature m�me, nous conduisait � interroger la g�n�tique de l'�criture. En effet, voir dans la th��tralit� un emprunt nous semblait insatisfaisant. Et s'il ne s'agissait pas seulement de cela ? Si Balzac, personnage � combien th��tral dans la vie, avait effectivement per�u le monde comme un th��tre sur lequel �volueraient des acteurs, dont des forces obscures se joueraient, et dont Il se jouerait peut-�tre ? S'il n'y avait jamais eu pour lui de r�alit� autre que th��trale et, qu'en cr�ant son Grand oeuvre, il eu~t tent� de reconstruire une gigantesque sc�ne ? D�s lors, sa d�finition de La Com�die humaine ne serait plus une m�taphore, mais prendrait tout son sens. Elle mettrait en �vidence une d�marche sp�cifique du romancier par rapport � l'acte cr�atif, � l'invention et � la composition du roman. Au demeurant, l'id�e de montrer que Balzac aurait pu �tre davantage un dramaturge qu'un romancier ne nous a jamais effleur�e. Pr�cis�ment, la question de la th��tralit� chez Balzac n'avait d'int�r�t v�ritable que parce qu'il �tait un grand romancier. R�solument ancr�e dans une posture de lecteur, un lecteur du xxe si�cle de surcro�t, l'enjeu de notre recherche a �t� de r�fl�chir sur cette tension entre romanesque et th��tralit� sur laquelle reposait la r�ception du r�cit balzacien. Qu'engageait-elle du point de vue de l'�criture du r�cit, de la cr�ation tout enti�re ? Quels �taient les moyens mis en oeuvre dans le r�cit pour construire sa r�ception th��trale ? Les indices de th��tralit� �taient-ils les moyens de l'�criture du roman ? L'empreinte du processus de cr�ation d'o� �mergeait le roman dans sa pl�nitude ? Au contraire, en constituaient-ils une faille? Par ailleurs, la th��tralit� du r�cit n'�tait pas sans interroger le pacte de lecture du r�cit balzacien. Ainsi, pouvait-on se demander en quoi la th��tralit� du r�cit infl�chissait le code de lecture auquel la critique du xxe si�cle associait le r�cit balzacien. Le r�cit balzacien appelait-il vraiment ce code de lecture "classique", globalement identificatoire, qui avait fait de Balzac le p�re du roman traditionnel, ou bien la th��tralit� le subvertissait-il au point qu'on pouvait y voir les pr�misses d'un traitement moderne du lecteur? C'est pourquoi, et cela malgr� le peu de go�t que nous professions pour les d�marches abstractives, la premi�re �tape de notre travail a consist� � r�duire les disparit�s aper�ues, au travers de nos lectures critiques, entre les diff�rents emplois du terme "th��tralit�" et � mettre en place une d�finition de la notion de th��tralit� du r�cit. L'id�e que cette tentative d�finitoire pourrait avoir quelque utilit� en dehors du cadre des �tudes balzaciennes nous a confort�e dans cette d�marche. D'ailleurs, le type de recherche que nous nous proposions d'entreprendre sur le r�cit balzacien n'�tait-elle pas au coeur des int�r�ts de la critique moderne, avide de d�passer les carcans trop �troits des cat�gories g�n�riques, pour penser les processus de cr�ation dans une logique plus transversale? Quoi qu'il en soit, une premi�re �tape de r�flexion autour du s�mantisme du terme "th��tralit�" nous a paru s'imposer. Et quel ne fut pas notre �moi quand nous avons d�couvert que le terme "th��tralit�", que chacun s'accordait � consid�rer comme une cr�ation du xxe si�cle, une sorte de doublet de la notion de "litt�rarit�", mise � l'honneur par Roland Barthes, �tait en r�alit� apparu en 1842 (l'ann�e m�me de l'�dition de La Com�die humaine), et que nous l'avions donc h�rit� du XIX �me si�cle! Cette d�couverte nous a �clair�e sur la voie � suivre. En effet, il y avait fort � parier que la notion �tait n�e sous la plume d'un critique de th��tre bien avant que la critique litt�raire ne s en empare. Il fallait donc explorer la th��tralit� du th��tre avant que d'esp�rer r�fl�chir � un sens pour la th��tralit� du r�cit. Nous avons donc tent� d'�tablir une sorte d'�tat des lieux en partant des emplois de la notion, et des d�finitions qui leur �taient associ�es, dans la critique th��trale, avant de le faire pour la critique litt�raire. A cet �gard, il �tait clair que Si la notion de th��tralit� du th��tre proc�dait d'une r�flexion endog�n�rique, c'�tait l'inverse d�s lors que la notion apparaissait � propos d'un r�cit ou de toute autre forme d'art. De ce point de vue, nous avons limit� notre r�flexion au domaine du th��tre et du r�cit, mais la question de la th��tralit� concerne aussi aujourd'hui la critique picturale, musicale et m�me celle de la danse ou des arts circassiens. Notre exploration des emplois de la notion dans la critique th��trale, des �crits de Nicolas Evreinov � l'approche pragmatique d'Anne Ubersfeld en passant par les r�flexions d'Antonin Artaud ou de Roland Barthes (sa d�finition de la th��tralit� �tant rendue � son l�gitime contexte), nous a conduite � mesurer les ambigu�t�s persistantes des d�finitions qui avaient pu �tre formul�es � propos de la th��tralit� du th��tre. Nous attachant ensuite � l'�tude des emplois dans la critique litt�raire, nous avons pu relever qu'ils ne r�sultaient jamais d'une d�finition, mais �taient comme appel�s par le texte auquel ils s'appliquaient et ressortissaient manifestement d'une interrogation sur la po�tique de l'oeuvre. A partir de cette �tude, nous avons cherch� � d�gager les �l�ments pouvant constituer des crit�res communs en vue d'une d�finition de la th��tralit� du r�cit. Dans cette perspective, il n'�tait pas possible de s'en tenir � l'�tude des seuls textes balzaciens constituant notre corpus. Aussi, avons-nous �tendu notre r�flexion � des auteurs contemporains de Balzac, dans la limite le plus souvent d'un seul texte: Stendhal, Victor Hugo, George Sand et Th�ophile Gautier. En d�finitive, nous avons �t� en mesure de proposer une d�finition de la th��tralit� du r�cit: "Il y a th��tralit� du r�cit d�s lors que, par un d�placement sensible du code de lecture, et donc de perception du r�cit, celui-ci se donne � lire comme une repr�sentation du r�el spectaculaire, se d�roulant dans un espace textuel m�tamorphos� en espace sc�nique, sur lequel des personnages, con�us comme des acteurs, jouent un r�le, justifi� sur un plan intradi�g�tique ou m�tadi�g�tique, et participent d'une mise en sc�ne globale du r�cit int�ressant tous les niveaux de sa composition et de son �criture." Par ailleurs, l'extension de notre corpus, dans le cadre de la mise en place de la d�finition de notre outil critique, nous a permis de battre en br�che cette id�e que tout r�cit romanesque du XIX~ si�cle, en particulier dans la premi�re moiti� de celui-ci, est empreint de th��tralit�. En r�alit�, il n' existe pas de topos de la th��tralit� au XIX �me si�cle. Il n'est que peu d'auteurs dont l'oeuvre r�ponde aux crit�res d�finitoires que nous avons d�gag�s : Stendhal, Balzac, pour la premi�re moiti� du si�cle, Zola pour la seconde, pour nous en tenir aux auteurs majeurs. Il reste qu'� l'�preuve du r�cit balzacien, la notion de th��tralit�, telle que nous l'avions d�finie, s'est montr�e particuli�rement op�ratoire. Qu'est-ce qu'une telle notion nous a apport� quant � l'analyse du r�cit balzacien, poursuivie � travers les Sc�nes de la vie parisienne et le "cycle de Vautrin"? En tout premier lieu, elle nous a conduit � nous int�resser � l'�criture de l'espace dans le r�cit. Nous avons pu montrer que Balzac tend dans le r�cit � reconstituer un espace th��tral. Les moyens mis en oeuvre sont divers et compl�mentaires. Tout d'abord, c'est au regard du lecteur que le r�cit s'adresse, le conviant � se constituer une vision du r�cit, une image mentale. Le code de r�f�rence th��tral, qui doit pr�sider � la construction de cette vision, est convoqu� gr�ce � des "embrayeurs" de th��tralit�. Ces termes se conjuguent pour assurer au niveau macrostructural (le r�cit tout entier), comme microstructural (la sc�ne), le recours au r�f�rent th��tral, qui devient une sorte de prisme au travers duquel le r�cit doit �tre lu. En outre, la spectacularisation de l'espace dans le r�cit (tout y devient spectacle de la ville de Paris aux espaces qui la composent) assur�e par la voix narrative, op�rateur de mise � distance, cr�e les conditions d'une transformation du lecteur en spectateur. Par ailleurs, les espaces du r�cit sont trait�s comme des espaces clos, porteurs de conflits, sorte de plateaux de th��tre sur lesquels les acteurs n'ont plus qu'� para�tre. L'espace du r�cit s'organise � partir d'un jeu d'ench�ssement de diff�rents espaces sc�niques en tension, tension qui fait du conflit des espaces une m�tonymie du drame que met en sc�ne la fiction. D�s lors, le conflit des espaces refl�te le conflit entre les personnages, inh�rent � la dramaturgie balzacienne, de sorte que l'espace se r�v�le l'un des acteurs privil�gi�s de la composition du drame. De ce point de vue, la question de la th��tralit� du r�cit balzacien permet de mettre en �vidence une des lignes de force de la conception que peut avoir Balzac du r�le de l'espace, et bien s�r de sa description, dans l'�conomie du r�cit. La description n'est pas que pr�paratoire, elle est d�j� action, drama. En outre, Balzac se r�v�le un pr�curseur de l'approche s�miotique de l'espace, et Si nous ne sommes pas seule � l'avoir remarqu�, la sp�cificit� de notre �tude permet d'�clairer l'une des raisons fondamentales de cette approche : la volont� de spectaculariser l'espace du r�cit, de le donner � voir et � d�crypter comme une composante essentielle de l'action. Dans cette perspective, l'espace r�el du th��tre, quand il est repr�sent� dans le r�cit, devient une sorte d'espace du miroir, v�ritable lieu de la mise en abyme des rapports qui, dans le r�cit, s'�tablissent entre les autres espaces sc�niques. En cela, la sc�ne au th��tre constitue une initiation � la lecture de l'oeuvre, une clef de lecture Si l'on pr�f�re. Dans tous les cas, le traitement de l'espace contraint le lecteur, pour assurer une lecture en profondeur du texte, � ajouter au code de r�f�rence romanesque le code de r�f�rence th��tral. Le pacte de lecture complexe ainsi mis en place appara�t comme la condition d'une prise de distance au texte et m�tamorphose le lecteur en spectateur du r�cit. Tenu � distance de la fiction par sa spectacularisation, le lecteur-spectateur est conduit � s'attacher au moins autant � sa mise en sc�ne qu'aux personnages qu'elle met enjeu. Certes, nous n'avons pu appuyer notre d�monstration que sur l'analyse de quelques exemples et il eut fallu pouvoir proc�der � une analyse compl�te du fonctionnement de l'espace dans un r�cit donn� (dans tous au mieux) pour n encourir aucune objection quant aux conclusions auxquelles nous sommes parvenue, mais les limites de ce travail ne le permettait �videmment pas. Par ailleurs, nous n'ignorons pas que l'existence d'un "espace litt�raire", que nos analyses pr�supposent, continue de poser probl�me pour la critique actuelle. Pourtant, nul doute pour nous que la th��tralisation de l'espace dans le r�cit, sur un plan microstructural comme macrostructural, n'aboutisse � une th��tralisation de l'espace du r�cit. En effet, la production d'une image mentale de l'espace dans le texte et de l'espace du texte s'impose au lecteur de Balzac s'il veut pouvoir se livrer � la lecture s�miotique qu'appelle le texte. Par ailleurs, la notion de th��tralit� du r�cit nous a permis de renouveler l'approche du personnage balzacien. En effet, l'examen de notre corpus � partir de ce prisme nous a permis de montrer que le personnage balzacien est toujours con�u comme un acteur. Son identification passe par celle de ses r�les. Pour le lecteur, son identit� se construit au fil de ses prises de r�le, et, plus que l'analyse psychologique, c'est l'action qui le r�v�le. D�s lors, on peut �tablir une typologie des acteurs balzaciens, dans la mesure o� aucun personnage n'�chappe, sinon dans le r�cit du moins � l'�chelle de l'ensemble des Sc�nes, � l'identit� d'acteur. Ainsi, les personnages se r�partissent-ils suivant la plus ou moins grande conscience qu'ils ont de jouer un r�le. Aussi, peut-on distinguer les com�diens volontaires, dont certains, les meilleurs, se posent en vrais ma�tres de la sc�ne, des "com�diens sans le savoir", dupes des premiers, dont la difficult� � jouer leur r�le est le plus souvent durement sanctionn�e . En effet, il semble que pour Balzac les rapports humains se pr�sentent comme un jeu de r�les, o� il faut jouer ou �tre jou�, o� le conflit est in�vitable. La soci�t� qu'il repr�sente contraint l'homme � ne jamais pr�senter au monde que le masque de lui-m�me. Le titre de Com�die humaine prend alors tout son sens, d'autant que la fiction s'emploie constamment � d�voiler au lecteur les coulisses de ce jeu du monde, � d�noncer les �carts entre l'identit� du personnage et le masque qu'il emprunte. Dans ces conditions, il semble que toute interrogation sur la construction de l'identit� du personnage balzacien doive en passer par une interrogation sur le rapport dialectique que Balzac �tablit entre le r�le (les r�les) et la construction identitaire du personnage. En effet, le spectre d'une identit� creuse, que ne remplirait que la somme des r�les endoss�s au fil de l'oeuvre, se profile derri�re la question de l'acteur. Il n'est pas certain que tous les personnages balzaciens soient ces "personnes" que la critique du XX~ si�cle a voulu y voir pour appuyer sa lecture d'un Balzac producteur de personnages sugg�rant un rapport identificatoire. Nous croyons au contraire que l'identit� d'acteur conf�r�e � ses personnages constitue un emp�chement majeur au rapport identificatoire. Quand Balzac les engage dans le jeu th��tral de la distance spectaculaire, il d�cide en r�alit� de les maintenir � distance de lorgnette. Ce n'est d'ailleurs pas l'un des moindres paradoxes de l'oeuvre balzacienne que de tenir son lecteur en �quilibre entre l'exp�rience de la fascination mim�tique et le retrait spectatorial. Mais, Si le personnage balzacien est con�u comme un acteur, il est aussi �crit comme tel. En effet, Balzac traite la mise enjeu de ses personnages comme le ferait un metteur en sc�ne de th��tre. Ainsi, le r�cit prend-il en charge toutes les �tapes de la composition du r�le par le personnage, de la motivation au costume. En outre, sous la plume balzacienne, le corps du personnage devient un �l�ment de la construction du sens. Chaque sc�ne dialogu�e construit sa signification sur un rapport dialectique entre le discours et la gestuelle des personnages dont il appartient au lecteur-spectateur de d�crypter le sens. Car celui-ci n'est jamais le fait du seul discours, il est le fruit de la synth�se dialectique que le lecteur doit op�rer entre les diff�rents langages de la "repr�sentation". L'espace, les objets, les corps participent au sens, au m�me titre que les discours. Ainsi, chaque r�cit pris isol�ment, comme la succession des r�cits qui composent les ensembles de Sc�nes de l'oeuvre, �rige-t-il devant nos yeux les murs du Th��tre balzacien, sur les espaces sc�niques duquel se jouent les drames des r�cits. Th��tre en libert� que ce th��tre qu'il appartient au lecteur-spectateur de reconstruire mentalement, et qui �chappe ainsi aux contraintes du th��tre de cette �poque. Nul doute d'ailleurs que ce d�sir d'un th��tre en libert� n'ait hant� la conception de l'oeuvre romanesque. Cependant, nous avons soulign� que la construction de l'espace du r�cit comme espace th��tral et la conception du personnage comme acteur ne suffiraient pas � assurer la th��tralit� du r�cit. Encore faut-il que celui-ci porte la trace de cette fonction essentielle au th��tre : celle de la mise en sc�ne. Ainsi, n'a-t-on gu�re �t� �tonn�e de constater que, sur un plan intradi�g�tique, de nombreux personnages sont pr�sent�s explicitement comme cumulant les fonctions d'acteur et de metteur en sc�ne du drame. D'ailleurs, les r�cits de notre corpus manifestent que Balzac avait une grande connaissance du r�le du metteur en sc�ne de th��tre. On y trouve d�taill�s les diff�rents aspects de ce "travail" qui passe par le choix de l'acteur, sa direction, et qui vise toujours � s'assurer une ma�trise du spectacle. Pourtant, nous nous sommes rendu compte que, dans le r�cit balzacien, le personnage du metteur en sc�ne voit toujours cette ma�trise lui �chapper, comme s'il �tait interdit aux cr�atures de se voir d�l�guer l'int�gralit� du pouvoir que Balzac doit rester le seul � poss�der. Car ces figures sont aussi des figures du cr�ateur, et, de ce fait, nous renseignent sur la fa�on dont l'auteur con�oit son propre r�le. En r�alit�, il semble qu'� travers les personnages de metteur en sc�ne, Balzac se livre � une mise en sc�ne de l'�chec, quasi exorciste. En ce sens, nos analyses rejoignent celles qui ont pu �tre conduites autour de la figure de l'artiste dans La Com�die humaine. Encore que, Si les metteurs en sc�ne de La Com�die humaine �chouent infine, ils connaissent toujours une part de r�ussite, qui tient au pouvoir qu'ils acqui�rent sur les autres protagonistes de l'action. Si la question du pouvoir est au centre de la cr�ation balzacienne, nul doute que la figure du metteur en sc�ne en soit la repr�sentation la plus accomplie, la plus proche aussi du grand Cr�ateur lui-m�me. Quoi qu'il en soit, les metteurs en sc�ne du r�cit, parce qu'ils sont toujours les premiers spectateurs de leur mise en sc�ne, interrogent cette autre fonction fondamentale � la repr�sentation th��trale, celle de spectateur. En r�alit�, l'�change des fonctions entre metteur en sc�ne et spectateur dans le r�cit se fait mise en abyme des r�les que le r�cit attribue (exige) de son lecteur. Ce dernier est en effet convi� � se faire le metteur en sc�ne final du sens, et, par l�, � s'identifier bien davantage au metteur en sc�ne qu'� l'acteur du r�cit. En r�alit�, la question de la th��tralit� du r�cit met en �vidence la nature complexe du pacte de lecture balzacien. En effet, c'est parce qu'il y a th��tralit� que la distance n�cessaire � la r�flexion sur le texte se cr�e, r�flexion qui reste l'enjeu fondamental de l'oeuvre balzacienne. Les lectures trop "r�alistes" du texte balzacien ont dissimul� la modernit� profonde de ce pacte de lecture, fond�e sur une distance spectatoriale au r�cit. Certes, nous sommes face � un narrateur omniscient, mais cette omniscience ne vise pas � susciter une adh�sion sans condition au r�cit. Bien au contraire, elle est le lieu d'un jeu de reflet entre le lecteur et l'auteur qui ouvre une faille par laquelle l'homme comme la cr�ation peuvent �tre pens�s. En d�finitive, rien de moins rassurant que la lecture du texte balzacien qui se veut �cole du regard en m�me temps que de la distance critique. En outre, que Balzac se soit projet� dans les personnages de metteur en sc�ne nous a beaucoup appris, du point de vue de la g�n�tique de l'�criture, sur son propre rapport de cr�ateur au r�cit. On a pu constater que Balzac semblait aborder la composition du r�cit en s'assujettissant � certaines des contraintes qui sont celles de l'auteur de th��tre, (qui pendant tr�s longtemps fut aussi le metteur en sc�ne de la repr�sentation). En particulier, il n'est pas de r�cit balzacien qui ne s '�crive a partir d'une r�flexion sur sa r�ception. La plupart des r�cits dans notre corpus se compose sur un sch�ma conflictuel � partir duquel l'histoire s'�crit. Chez Balzac, la recherche de l'action dramatique est constante. Elle fonde l'�criture du r�cit qui s'initie sur une crise, progresse par retournements successifs jusqu'� son d�nouement, d�nouement annonc� d'ailleurs. On reconna�t l� les grands ressorts de l'�criture dramatique classique qui, s'ils sont incontournables pour le dramaturge (du moins jusqu'au xixe si�cle), ne le sont en principe pas pour le romancier. Si Balzac se plie � ces contraintes volontairement, c'est sans doute qu'elles r�pondent � sa conception actantielle du r�cit, conception qui refl�te sa vision th��trale du monde. En outre, elles assurent l'int�r�t du r�cit pour le lecteur qui, nous l'avons vu, est invit� � se comporter en spectateur, tour � tour distant et investi. Certes, il s'agit peut-�tre l� d'une vision qui doit beaucoup aux r�flexions sur la lecture men�es au xxe si�cle, mais c'est le gage aussi que la th��tralit� du r�cit balzacien, en ce qu'elle infl�chit sa conception et sa composition, lui conf�re une place privil�gi�e dans la modernit�. Quoi qu'il en soit, le drame chez Balzac n'est jamais qu'un des niveaux de lecture du r�cit, puisque chaque drame prend sa place dans un ensemble plus vaste donn� � lire comme Com�die. Nous avons montr� que, pareil en cela � Moli�re, dans ce qu'il est coutume d'appeler ses "com�dies s�rieuses", auteur auquel il se compare volontiers, la th��tralit� du r�cit retourne la cruaut� du drame en com�die gr�ce � la distance qu'elle permet de maintenir entre le lecteur et l'histoire. Ainsi, la th��tralit� emp�che-t-elle, par le d�voilement du processus de leur mise en jeu, le rapport identificatoire aux personnages . Le narrateur joue ici un r�le d�sillusionnant puisqu'il focalise l'attention du lecteur sur la fabrique du drame, sur Sa mise en sc�ne. La th��tralit� permet donc de relativiser le drame par le rire, le rire philosophique de celui qui conna�t la nature humaine et ram�ne les passions des hommes � la juste proportion de leur condition mortelle. Aucun pessimisme l�-dedans, mais plut�t l'affirmation de la vanit� des passions et de leurs ridicules. La th��tralit� du r�cit, qui favorise la distance � l'autre, se fait l'�cole d'une distance r�flexive � soi-m�me. Car, en d�finitive, par ce moyen, Balzac maintient toujours ses cr�atures � la distance de la pens�e, qui, seule, peut conf�rer � l'homme son v�ritable pouvoir. Ainsi, le lecteur balzacien ne peut-il jamais tout � fait s'abandonner au drame, il est requis de le r�fl�chir et la th��tralit� est l'op�rateur de cette r�flexion. Enfin, ce travail n'aurait pas tout � fait �t� achev�, � supposer qu'une d�marche critique sur l'oeuvre balzacienne ait jamais un terme, Si nous ne nous �tions pench�e sur la dimension scripturaire de l'oeuvre. En effet, la perception de la dimension th��trale du r�cit, que d'autres avant nous avaient d'ailleurs relev�e, devait d'une mani�re ou d'une autre r�sulter de la forme de son �criture. A cet �gard, nous sommes consciente des lacunes que conserve notre �tude sur la th��tralit�~du langage balzacien puisqu'elle a d� se limiter � l'analyse de quelques exemples seulement Pourtant, elle a tout de m�me le m�rite de mettre en �vidence la coh�rence de l'�criture balzacienne eu �gard aux enjeux qui �taient les siens : la mise en spectacle du r�cit. Nous avons pu montrer que l'�criture des discours, qu'il s'agisse de ceux des personnages ou de ceux du narrateur, ressortit le plus souvent du "langage dramatique", dont certains des crit�res ont �t� d�finis par Pierre Larthomas. Nos analyses mettent en �vidence que le pr�tendu "mal �crire" romanesque, souvent reproch� � Balzac, est en r�alit� un "bien �crire" dramatique. En outre, interrogeant les rapports entre le discours du narrateur et celui des personnages � l'�chelle de la sc�ne dialogu�e, nous avons pu constater que le discours du narrateur tendait � se confondre, (parfois se confondait), avec le discours didascalique inh�rent au texte th��tral. Nous avons d'ailleurs soulign� le risque que faisait courir au sentiment du romanesque cette forme de dessiccation de l'�criture que constitue le discours didascalique. L'�criture para�t soudain manquer de "chair", Si l'on admet �videmment que la "chair" du roman est la narration. Enfin, nous avons tent� d'�clairer l'un des points sur lequel la critique balzacienne s'est souvent pench�e, � savoir les r�les qu'on peut attribuer aux discours du narrateur per�us comme digressifs. Pour nous, leur fonction emprunte � celle du paratexte th��tral. Car, la profonde singularit� du r�cit balzacien r�sulte de l'�quilibre qui, dans son �criture, s'�tablit entre les discours qui participent directement de l�action et prennent la forme d'une �criture dramatique, (cela m�me quand ils sont le fait du narrateur), et les discours "digressifs", lieux du d�voilement des "principes" du spectacle. L'enjeu de ces discours est d'assurer la coh�rence de la repr�sentation, ils ne sont donc digressifs qu'en apparence. D'autant qu'en les analysant pr�cis�ment, on constate qu'il fonctionnent sur une mixit� structurelle : d'une part, ils sont discours de partage du savoir, de d�voilement des principes et, d'autre part, discours de persuasion � l'adresse du lecteur, et en ce sens op�rateur de la vraisemblance du r�cit. Au moment de mettre le point final � ce travail, nous croyons avoir d�montr� que la notion de th��tralit� du r�cit trouvait, dans le r�cit balzacien, l'une de ses expressions les plus achev�e. Elle permet de mettre � jour, dans l'oeuvre, certaines lignes essentielles de coh�rence, en m�me temps qu'elle invite � une approche renouvel�e de la lecture du r�cit balzacien. En outre, il n'est pas exclu que notre travail, surtout en ce qui concerne l'�criture dramatique, puisse ouvrir de nouvelles perspectives quant � l'�tude du th��tre de Balzac, dont, � ce jour, il n'existe pas d'�dition critique compl�te. |