Dominique PETY, Collection et �criture. Les Goncourt en leur temps. Th�se de doctorat, sous la direction de Philippe Hamon, soutenue � l�Universit� Paris III le 22 octobre 2001.� la fin des ann�es 1980 a commenc� une vaste entreprise de relecture de l��uvre des Goncourt, autour du Journal, autour des textes sur l�art, � propos de facettes moins connues dans la personnalit� de ces �crivains, qui furent aussi des collectionneurs de premier ordre. On soup�onnait d�j� que l��tiquette de pr�curseurs du naturalisme �tait r�ductrice ; on a peu � peu red�couvert qu�elle laissait dans l�ombre un aspect essentiel de leur esth�tique, dont les contemporains du vieil Edmond, qui firent le succ�s de sa vente apr�s d�c�s, avaient quant � eux pleinement conscience : la relation � l��uvre d�art n�a cess�, sur pr�s d�un demi-si�cle, d�accompagner et de nourrir l��criture des Goncourt, qui se r�v�le finalement largement tributaire de leur pratique de la collection. C�est ce que cette th�se s�efforce de montrer. Dans la lign�e des travaux r�cents sur la collection et le mus�e, mais aussi en l�absence d��tude d�ensemble pour le XIXe si�cle, il nous a fallu proc�der � une s�rie d�enqu�tes historiques, sur la repr�sentation du collectionneur, sur les pratiques et les discours de la collection au XIXe si�cle, sur des activit�s connexes comme la d�coration d�int�rieur. Non seulement la collection au XIXe si�cle a sa sp�cificit�, mais elle renvoie plus largement � un �tat d�esprit caract�ristique de l��poque, et s�av�re �tre une composante essentielle de la � dix-neuvi�mit� �. En effet, elle accompagne la profonde mutation des valeurs qu�accomplit le XIXe si�cle, en permettant � l�ancien de devenir partie int�grante de la modernit�, l��uvre d�art s�int�grant peu � peu au march�, l�gitimant les nouvelles promotions sociales ; en outre, la collection au XIXe si�cle t�moigne du r�gne de l�objet (il envahit l�int�rieur priv� sous la forme du bibelot), de l�av�nement de l�individu (c�est lui d�sormais qui devient principe d�ordre dans une accumulation qui rel�ve sinon de l��clectisme), d�une certaine philosophie de l�histoire (le collectionneur se consid�re en dehors d�un devenir, en marge de l�histoire dont il peut d�sormais totaliser les acquis). Les Goncourt h�ritent de cette conception de la collection et de l�id�ologie qu�elle v�hicule ; ils se montrent en outre particuli�rement sensibles � ses enjeux, � ses menaces aussi, auxquels leur propre pratique de la collection et de l��criture seront autant de r�ponses. La collection, parce qu�elle repose sur l�accumulation de l�ancien, d�fie la capacit� � cr�er du nouveau : le poids des h�ritages permet-il encore de mettre au jour des formes neuves ? C�est ce d�fi de la cr�ation, n� de la collection, qui oriente l�esth�tique des Goncourt, et c�est dans une red�finition de la collection, et de l��criture sur son mod�le, que les deux fr�res pr�tendront � leur tour � innover �, � inventer �, c�est-�-dire � cr�er �. Leur propre collection, les deux fr�res la con�oivent comme une �uvre d�art sup�rieure, qui subsume des beaut�s singuli�res dans l�unit� d�une m�me demeure. D�s les ann�es 1850 dans l��criture commune du Journal, ou sous la plume du seul Edmond dans La Maison d�un artiste (1881), on voit se multiplier les relations historiques, les structures logiques, les dispositifs artistiques, qui organisent les objets en une totalit� harmonieuse. Mais des manques demeurent, que seuls pourront combler la transposition et le prolongement de la collection dans l��criture. Avant d�analyser comment ceux-ci s�op�rent, il faut consid�rer comment l�objet livre s�int�gre dans le projet de la collection, et comment l�espace de la biblioth�que s�ins�re dans la maison mus�e. L�enqu�te historique sur la bibliophilie au XIXe si�cle permet de souligner la vis�e cr�atrice des Goncourt, dans le travail de la reliure, dans l�adjonction d�illustrations et d�autographes, dans les choix �ditoriaux. Le livre dans sa r�alit� mat�rielle appara�t ainsi comme un objet d�art, une pi�ce de collection, mais aussi comme une collection de documents. Dans sa r�alit� intellectuelle �galement. Le livre, et particuli�rement le livre d�histoire, tel que le d�crit la biblioth�que ou � cabinet de travail � de La Maison d�un artiste, s�organise � partir d�une compilation d��crits. Cette recomposition personnelle de r�f�rences et d�emprunts divers, qui trouve son mod�le dans la collection, collecte r�unie en un ordre nouveau dict� par le collectionneur, caract�rise une mani�re d��crire qu�on retrouve chez Flaubert, voire une mani�re de peindre qui sera celle de Manet, et qui montre l�extension d�une id�ologie et d�une esth�tique de la collection au XIXe si�cle. L��uvre enti�re des Goncourt, et non seulement les textes traitant directement de la collection ou de ses objets, permet d�approfondir cette hypoth�se, et de montrer comment la collection d�bouche sur la cr�ation litt�raire. Dans les romans aussi, les Goncourt ont compil� les documents ; la th�orie de l�observation, que Zola reprendra � son compte, repose aussi sur la collecte. D�o� l�accusation de st�rilit� de la part des d�tracteurs du r�alisme et du naturalisme, qui opposent une litt�rature de l�imagination � une litt�rature du constat. Mais la novation n�est pas tant � chercher dans le contenu que dans la forme : c�est l�enjeu de l��criture artiste, qui prend appui sur le r�el, mais en recompose la perception dans un texte soumis � des imp�ratifs esth�tiques dict�s par l��crivain. Ce projet stylistique, qu�Edmond de Goncourt revendiquera comme un de ses principaux titres de gloire, et dont les contemporains per�urent bien l�enjeu r�volutionnaire (il proc�dait de fait � une d�composition de la syntaxe traditionnelle), repose aussi sur le mod�le de la collection , qui proc�de bien � la mise en forme du monde sous l��gide de l�art selon la r�gle d�un sujet. Il renvoie � d�autres formalismes esth�tiques qui s�imposent tant en litt�rature qu�en peinture dans la deuxi�me moiti� du XIXe si�cle. Dans le cas des Goncourt, on peut en outre analyser comment le rapport � l�objet d�art dans l�intimit� de la collection priv�e a suscit� et nourri ce culte de la forme dont t�moigne leur �criture : leur conception du style comme marque personnelle de l�artiste appara�t d�s les ann�es 1850 dans l��tude de la peinture du paysage ; la d�cennie de L�Art du XVIIIe si�cle (1859-1875) leur permet d�approfondir le go�t du signifiant plastique, qui ira avec le japonisme d�Edmond de Goncourt jusqu�� l�exaltation de la couleur pure, en des textes qui, par le primat accord� au signifiant verbal, proclament hautement leur ambition po�tique. Les Goncourt po�tes : tel est le renversement interpr�tatif auquel m�ne la collection, si on veut bien consid�rer son r�le majeur dans la po�tique des Goncourt. La figure de Zola collectionneur s��claire aussi, nous l�esp�rons, � la lumi�re de ce travail, et l��clectisme, souvent d�cri�, de son appartement parisien et de sa maison de M�dan, trouve ici son sens. En outre, autour d�une discussion de la notion de � document �, nous tentons de montrer comment l�esth�tique naturaliste renvoie � une id�ologie de la collection. En confrontant enfin les appr�ciations de Zola et d�Edmond de Goncourt au sujet du japonisme, on mesure l�influence d�un regard sur l�art � ou ses limites � dans la maturation d�une po�tique |