Anastasios TSOLAKIS. " Stendahl et Madame de Sta�l : une inimiti� �lective".

Th�se soutenue le 5 juin 2002 � l'Universit� de Paris III- Sorbonne nouvelle sous la direction de Philippe Berthier.

Ne sultor ultra crepidam � [1]

       Si une mort pr�coce a emp�ch� Mme de Sta�l de conna�tre le futur auteur de Racine et Shakespeare, la question d�un dialogue imaginaire entre les deux �crivains ainsi que celle de la dette, ind�niable, de Stendhal envers sa devanci�re peuvent �tre restitu�es de mani�re plus ou moins convaincante. Par del� la composition d�routante des reproches stendhaliens, la relation entre le Grenoblois et Mme de Sta�l semble complexe et plurivoque : elle appara�t dans la divergence comme dans la convergence, dans l�unisson comme dans le d�saccord. Emprunts et griefs, affinit�s et oppositions, continuation et ruptures en tracent les contours et la signalent. H�g�lienne dans son essence, elle est lieu d�affrontements et de tension : Napol�on et actualit� politique, litt�rature et avenir des lettres, nations et perspectives politico-litt�raires, soci�t�, individu, cr�ation et r�le de l�artiste, autant de th�mes amenant des r�flexions multiples, conformes ou incompatibles. Le contentieux, � sens unique, fait appara�tre des nuances beaucoup plus subtiles qui rapprochent de mani�re inattendue des positions � priori inconciliables. Sous ce rapport, l��tude des relations entre Stendhal et Mme de Sta�l s�av�re un v�ritable d�fi et elle s�impose.

       570 pages, y compris la bibliographie et un index, fa�onnent ce travail qui s��labore en quatre parties. � La dette et le litige � situe les deux �crivains l�un par rapport � l�autre, d�finissant le rapport stendhalien et beyliste � la figure sta�lienne. Cette premi�re partie �num�re les emprunts que Stendhal fait � Mme de Sta�l alors qu�elle analyse la fascination du premier face � son a�n�e, fascination qui n�exclut pas les griefs contre ses options politiques et, surtout, contre son � style tendu et visant � l�effet �, son �criture pl�thorique, narcissique et didactique, v�ritable � escrime de la parole � qui, d�ficitaire en ce � divin naturel � qu�il aime tant, manque encore de � gradations de v�rit�. � Si l�enflure le rebute, il reconna�t pourtant volontiers � qu�il y a de bien belles v�rit�s � dans ses livres, ce qu�il am�ne � se laisser impr�gner par une pl�thore de notions sta�liennes: r�le et influence des passions sur le bonheur, notion de perfectibilit�, n�cessit� moderne de simplicit� dans l�art, condamnation de la �romance� et d�finition du roman moderne, principe de la relativit� et de la variabilit� du go�t, du Beau et des arts selon le climat, les contr�es et l��poque, g�ographie musicale de l�Europe en rapport avec la diversit� des temp�raments, probl�me des rapports entre l�expression artistique et le r�gime politique qu�elle refl�te, modernit�, refus de l�imitation servile de l�antiquit�, question du renouvellement du r�pertoire du th��tre fran�ais et besoin d�une trag�die historique et nationale en accord avec les habitudes des spectateurs modernes. Condamnation �galement de l�affectation, de la vanit�, de l�hypocrisie en tant que traits de caract�re, mais aussi dans les m�urs, les �crits, le style et les arts ; le Nord, le Midi et leur mythe � l�homme r�fl�chi du Nord, l�homme � sensations du Sud -, l�influence du climat sur la litt�rature, le souci de situer les faits culturels dans un contexte historique et politique afin d��lucider leurs rapports et leurs articulations les plus significatives. De m�me, une exigence heuristique qui se fonde tout aussi sur l�analyse que sur l�observation des faits, le souci d�enqu�ter sur la formation de l�histoire des mentalit�s, la cartographie du c�ur, de l�amour et des nationalit�s, la f�minit� selon le pays, les r�ticences sur Racine et la caducit� du classicisme, la d�couverte de Shakespeare et une plus compl�te intelligence de son g�nie. La d�couverte gr�ce, en partie, � Corinne, de l�Italie, d�sormais son � true country �, patrie � de la sensibilit� �, � n�cessaire � ( son ) c�ur � ; la question de l�adaptation au monde et de la sauvegarde absolue de l�individualit�, de l�authenticit� et du naturel ; la question, enfin, de la situation de l�homme, du citoyen et de l�artiste dans la soci�t�.

       Les deux auteurs parlent plus ou moins ouvertement le m�me langage, leurs sensibilit�s s�interp�n�trant parfois de mani�re remarquablement co�ncidente.

       La seconde partie est consacr�e au n�ud du probl�me : la question de Napol�on, et plus g�n�ralement de la politique. � Mme de Sta�l, Stendhal et la politique � �tudie la dimension historique et par l� conflictuelle qui d�finit les r�flexions et la relation du couple � antagoniste �. Outre les questions de style, de temp�rament, de philosophie ou de vision du monde, il y a l� l�un des �l�ments les plus aptes � les �loigner. Il s�agit d�un conflit pr�cis qui �tablit une pol�mique sur l�appr�hension de l�histoire, l�interpr�tation politique de l�actualit� et, in�vitablement, la l�gende napol�onienne. Deux repr�sentations du grand homme qui fait l�histoire et qui influe largement, mais de mani�re diff�rente, sur leur existence � tous les deux, s�affrontent dans leurs ouvrages. Et malgr� le m�me r�ve d�une R�publique lib�rale et des exigences au fond identiques, leur vision du pr�sent ou des conjonctures politiques d�voilent des diff�rences en grande partie inconciliables, li�es qu�elles sont � l�interpr�tation de la R�volution ou � l� � �cart� � chronologique qui les s�pare � pour Mme de Sta�l, le Consul trahit les id�aux r�publicains tr�s t�t ; pour Stendhal, il faut attendre 1804. Autour de la signification du mythe napol�onien s�organisent alors et s�opposent deux lectures, exclusive l�une de l�autre. Aux consid�rations n�gatives de Mme de Sta�l fait front, par contraste, une inflation dans le positif de la part de Stendhal, � l�excitabilit� impie de la premi�re s�oppose un farouche d�fi pol�mique et id�alisant de l�autre. Les deux penseurs se rencontrent, toutefois, dans la m�me condamnation de l�absolutisme et de la tyrannie. Pragmatiques, ils se rejoignent encore dans une m�me acceptation, sous la Restauration, de la Charte et de la monarchie constitutionnelle, ce qui ne les emp�che pas de songer, chacun � sa fa�on, � l�av�nement d�un r�gime plus conforme � leurs id�aux r�volutionnaires.

       La troisi�me partie aborde les probl�mes esth�tiques. � L�art et le temps � consid�re la question de la c�sure dans le devenir litt�raire qui se manifeste avec et apr�s la R�volution. La conscience nouvelle engendre des besoins nouveaux, la nouveaut� politique exige le renouveau de la parole et des arts. Mme de Sta�l �tablit une probl�matique du statut de la litt�rature dans l��re nouvelle, elle amorce une r�flexion sur l�art et ses rapports � son temps, r�flexion qui est r�percut�e, approfondie et enrichie dans la pens�e stendhalienne. L�objet de notre examen est alors la mise en relief d�un syst�me d�id�es et la structuration d�un ensemble de jugements que l�on retrouve chez les deux auteurs et qui doivent, d�apr�s leurs th�ories, r�gir la production artistique pour que celle-ci se renouvelle fondamentalement. La partie s�articule autour des th�mes-clef qui suivent trois directions essentielles : le rejet de l�imitation en tant que principe de base pour la cr�ation artistique dans les temps modernes, l�exaltation de l�individualit� originale et, finalement, l�exigence d�adapter l�art aux r�alit�s et aux aspirations contemporaines pour en faire la vraie expression du XIXe si�cle � la fois en France et en Europe. Les �l�ments fondamentaux de leurs discours esth�tiques peuvent se r�sumer dans l��nonc� suivant : l�art doit s�accorder � son �poque et exprimer sa sp�cificit� distinctive. Elle sera, toutefois, beaucoup plus nuanc�e chez Mme de Sta�l puisque celle-ci admettra un plus grand relativisme dans ses jugements et pr�nera le maintien des canons esth�tiques qui, incarn�es dans la notion de bon go�t, vont emp�cher un art de libert� inconditionnelle.

       La quatri�me et derni�re partie, � Mme de Sta�l, Stendhal et les nations �, analyse leurs conceptions des identit�s nationales. La diversit� nationale en tant que source d�enrichissement � l�int�rieur d�une Europe plurielle est un �l�ment important du discours sta�lien tout comme du romanticisme beyliste. Le maintien et la conservation des particularit�s nationales sont alors de la premi�re importance, et l�ensemble de diff�rences se manifeste comme un fait positif pour acqu�rir un �ventail plus large de connaissances, pour �viter la stagnation dans les arts en transcendant toutes les diff�rences envisageables. Chaque nation trace une image de coexistence et d��change entre entit�s nationales autonomes et personnalis�es, elle d�bouche sur la repr�sentation d�un continent enclin � l�interd�pendance et � la solidarit� vitale. De l�, les deux auteurs d�veloppent des consid�rations sur les nations, Allemagne, Angleterre et Italie, �videmment. Des diff�rences apparaissent dans la mani�re d�appr�cier les nations et d�en tirer des conjectures sur leur esprit, leur culture, leur litt�rature et leur avenir politique. Par-del� les dissemblances, profondes ou occasionnelles, se confirment, n�anmoins, de grandes affinit�s et une consonance d�opinions coh�rentes : c�est � l�Europe des hommes sup�rieurs, de ces � �tres privil�gi�s � auxquels � le hasard a donn� une �me noble � que songe Stendhal ; c�est aux � �mes sensibles � et � la n�cessit� d� � avoir l�esprit europ�en � que pense Mme de Sta�l puisque, dit-elle, � c�est � l�universel qu�il faut tendre, lorsqu�on veut faire du bien aux hommes. � Le sublime des arts et l�exp�rience esth�tique peuvent d�border les fronti�res et effacer les m�sententes, ils am�nent un mouvement d�enthousiasme proprement jouissif et transgressif qui abolit les susceptibilit�s des h�ritages nationaux. Stendhal reconna�tra ainsi, - et c�est l�, en effet, l��l�ment essentiel qui d�finit sa relation avec Mme de Sta�l -, l�existence de connivences muettes entre les �mes, de filiations sinueuses entre les artistes et de secr�tes fraternit�s.

       Il est connu qu�Henri Beyle, l�homme, le lecteur et l��crivain, se forme dans sa jeunesse tant � la source des romans sta�liens qu�� celle de ses ouvrages de r�flexion. En s�appuyant souvent sur l�autorit� d�un �crivain reconnu et d�un m�diateur essentiel, Stendhal se met sous influence : elle calibre et �talonne la pr�gnance de ses propres id�es. Chez lui, la r�f�rence, directe ou indirecte, ainsi que l�emprunt ou le plagiat deviennent les principes moteurs de la cr�ation litt�raire, de l�invention de soi et de la maturation future de son g�nie. Un r�seau de connivences et d�influences se d�veloppe lentement et participe � son p�trissage intellectuel. L�influence � elle constitue pour lui, on le sait, � un certificat de ressemblance � - de Mme de Sta�l se trouve alors essentielle, mais la Genevoise para�t, d�s tr�s t�t, soumise aux grilles de critiques stendhaliennes les plus caustiques. Le beyliste n�use jamais de son esprit pour de cruelles �pigrammes. Il y a une irr�fragable opposition entre les deux, une antipathie cong�nitale, et tout semble, � premi�re vue, concourir � les �loigner plut�t qu�� travailler � leur rapprochement. Contre tout langage qui tend � magnifier Mme de Sta�l, Stendhal entend, en effet, �riger un discours qui la rend � difforme � et monstrueuse. Soumis aux pr�jug�s sexistes et misogynes � l��gard de l��criture f�minine, il lui adresse inlassablement des critiques empoisonn�es. En tant que femme d�esprit et �crivain, la figure glorieuse, active et ambitieuse de Mme de Sta�l a quelque chose de trop voyant pour son go�t. Son besoin de briller, de faire effet et d��blouir son entourage ; son go�t pour la soci�t�, pour la conversation et l�envie de plaire d�rangent Stendhal. Mondaine insensible aux traits masculins, �me qui se m�le � tout, elle manque aux deux apanages de la f�minit�, la gr�ce et la faiblesse. Intellectuellement un homme, � la pens�e en moi est �homme� �, avoue elle-m�me, physiquement laide, insolente et vaine, elle r�ve de se hausser jusqu�aux facult�s masculines. Pr�tention vaine. Elle n�y parvient point, alors qu�elle �choue en m�me temps dans l�affranchissement et l�expansion pleine d�une f�minit� assum�e. Hommasse, usurpatrice des domaines de r�flexion appartenant traditionnellement � la gent masculine, tel la politique, elle est vou�e fatalement au confinement litt�raire et au r�le de femme � romans. Ratage de l��criture, l�ex�crable enflure de son style rapetisse m�me ses tentatives d��crivain : le � galimatias � la Sta�l � et un style � guind�, ennuyeux et atroce � visent � la flatterie litt�raire. Il repose sur le mensonge, donc sur une esp�ce de corruption : le jugement du lecteur ne porte plus sur l�essentiel ; dup�, il est ainsi d�voy�, �bloui par le chatoiement d�un langage brillant mais frauduleux, v�ritable � filet qui prend beaucoup de poissons, mais o� il y a diablement de goujons. � M�taphysicienne encore, kantienne, vague et brumeuse, � Mme de Sta�l qui refuse Elvezio [�] ( est ) du dernier ridicule. � Anglophile, bourgeoise aux pr�tentions aristocratiques, historienne malveillante qui s�insurge contre le grand h�ros, brouillonne et peu lucide qui ternit l�image de l��pop�e napol�onienne, Mme de Sta�l concentre en elle tout le m�pris de la femme intruse dans les affaires publiques : � Sottise, plus Mme de Sta�l ignore, plus elle tranche �, dit-il exc�d� et injurieux. Soucieuse de ses int�r�ts et impudique, plus une Sibylle du Dominiquin qu�une Madone corr�gienne, elle est sans doute comme Corinne quelquefois � un peu trop anim�e par le d�sir universel de plaire. � Car f�minit� implique effacement, faiblesse et retenue, alors que le style, synonyme de sobri�t� et de clart� ; est ins�parable de la capacit� de sentir : le style � plus pompeux que touchant, dira Stendhal, [�] est le �sublime� des c�urs froids. � Prisonnier de sa propre esth�tique, de sa vision de l�actualit� ou de la f�minit�, le beyliste use de critiques face � la dame de Coppet. L�inflation lexicale de railleries toujours renouvel�es illustre la permanence d�un mod�le abjur� : � Pu�rilit�s de femme �, � toujours des id�es de femme �, � conclusions de femme �, sont des commentaires qu�il fait souvent. L�inimiti� devient alors le trait premier d�une relation pourtant ambigu�.

       Car si Mme de Sta�l est irr�ductiblement reni�e, elle nourrit aussi le discours stendhalien. Si elle est condamn�e sans appel pour ses faiblesses stylistico-morales, image � la fois ha�e et fascinatrice, les emprunts de Beyle, ainsi que des similitudes �tranges, font voir une v�rit� enfouie. Cens�e diminuer l��clat et la port�e des positions sta�liennes, la critique de Stendhal montre des failles voil�es mais perceptibles. R�cup�rer n�gativement les qualit�s de Mme de Sta�l est, certes, l�habitude pr�f�r�e de Stendhal critique, mais elle demeure �clat�e, soumise � des contradictions irr�solues. Reconnaissance et dissidence, appropriation et s�cession, antipathie et fascination, vont de pair. Profonde et irr�vocable, son inimiti� s�av�re alors �lective. Trop �vidente pour �tre univoque, l�opposition stendhalienne ainsi qu�une hostilit� permanente ne r�ussissent gu�re � voiler une proximit� d�concertante, une dette certaine et une ressemblance constitutive, autant � �vit�e � qu�ind�niable. Sa relation avec Mme de Sta�l est d�finitivement de l�ordre du d�ni. Comment lui pardonner ? Comment ne pas voir qu�avec Germaine de Sta�l Henri Beyle a peut-�tre voulu enfouir une partie, souvent la plus intime, de lui-m�me ? Questions troublantes auxquelles cette th�se s�efforce d�apporter quelques r�ponses.

 

[1] � Que le cordonnier ne juge pas au-del� de la chaussure. � Mot du peintre Apelle devenu proverbial. Stendhal le cite en juin 1827 dans son journal. ( J, in OI, t. II, p. 91 ).

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