Dans le prolongement des journ�es
organis�es par la Soci�t� des �tudes romantiques et dix-neuvi�mistes sur les
manifestes (janvier 2004) et sur les pr�faces (janvier 2005), une r�flexion
reste � mener sur la question de l�esth�tique � question centrale et
plus g�n�rale � la fois. Charles Magnin, dans Le Globe, en 1829, rendant
compte de la r��dition du Nouvel Art po�tique de Viollet le Duc (1re
�d. 1809), d�clarait que le temps des po�tiques (normatives) �tait
r�volu ; en revanche, il annon�ait une �re nouvelle, celle de
l�esth�tique. C�est cet av�nement, les d�bats qu�il entra�ne, les bouleversements
qu�il op�re qui se trouveront au centre de ce IIe Congr�s.
Trois axes ont �t� retenus. Le
premier se propose d�analyser les relations qu�entretiennent tout au long du
si�cle po�tique et esth�tique, ainsi que les parcours qui conduisent de l�une �
l�autre. Le deuxi�me prend en charge de r�pertorier les lieux, les supports,
les vecteurs divers, les pratiques institutionnelles et �ditoriales sur
lesquels s�appuie la r�flexion esth�tique au XIXe si�cle. Le
troisi�me, centr� sur la notion m�me d�esth�tique en acte, se propose de
mettre l�accent sur les interactions de divers ordres entre th�ories et
pratiques esth�tiques.
1. De la po�tique �
l�esth�tique
Il s�agira de penser l�histoire,
l�extension s�mantique du mot et de la notion, depuis les r�appropriations et
les reformulations propos�es � l�aube du si�cle (chez Mme de Sta�l, puis dans Le
Globe), jusqu�aux diff�rents avatars fin-de-si�cle (l�Esth�tique de la
langue fran�aise de Remy de Gourmont, ou l�asc�se de Mallarm� dans les
� glaciers de l�esth�tique �). Mais il conviendra d��tre attentif
aussi aux restes assez consistants de � po�tique � et de
� rh�torique � normatives qui demeurent actifs tout au long du
si�cle, du fait de la fid�lit� de l�enseignement scolaire et universitaire �
ces disciplines ancestrales, sans oublier les autres signes de r�sistance de
l�aristot�lisme (Quatrem�re de Quincy, N�pomuc�ne Lemercier, Nisard, Viennet,
etc.). Il faudra tenir compte aussi du fait que le � si�cle de
l�esth�tique � fut aussi celui de cette activit� connexe elle aussi
nouvelle, du moins par l�ampleur sans pr�c�dent qu�elle acquiert alors : la
critique.
Il s�agira par ailleurs d��tudier
les diverses notions qui ont constitu� en quelque sorte l�outillage mental de
l�esth�tique : la notion de � beau id�al �, au premier chef,
avec ses acceptions diff�rentes de Winckelmann � George Sand ; celle de
� cr�ation �; celle de � l�art pour l�art �, celle de
� r�alisme �, etc.
Il y aurait aussi � envisager les
rapports entre l�esth�tique et la morale, chez un Cousin bien s�r, chez les
philosophes allemands, mais aussi chez un Hugo et les
� humanitaires �, ou encore chez un Baudelaire.
Il faudra s�interroger sur la
nouvelle g�ographie de l�espace �pist�mique qui se dessine � une �poque o�, les
commentateurs le remarquent, aux � Beaux-Arts � en tant que
disciplines techniques s�par�es, se substitue la notion d�� Art �, au
singulier de majest�, avec son imp�rialisme attractif et novateur. La notion d�esth�tique
est ainsi li�e � une red�finition de l�espace intellectuel tout entier, qui
tend en particulier � produire cette r�volution majeure : faire passer la
po�sie et les formes nouvelles de ce qu�ont e�t appel� au si�cle ant�rieur les
� Belles-lettres � du camp de la � Litt�rature � (au sens ancien
du mot, qui comprenait la philosophie)
vers celui de l�� Art �.
Dans une optique compl�mentaire,
il appara�t n�cessaire de s�interroger sur les transformations qui affectent
alors la notion d�auteur (devenu sujet sensible) et sur la notion d��uvre, qui
sont toujours en relation, mais plus encore dans un si�cle qui, apr�s avoir
fait passer l�axe de l�empire esth�tique de l��uvre vers l�homme, le ram�ne
ensuite progressivement, en sa deuxi�me moiti�, de l�homme vers le � livre
aux mobiles feuillets � (Mallarm�).
Il conviendra par ailleurs de
penser les relations que l�esth�tique entretient avec la notion de
� style �, et enfin d�analyser les valeurs � partir desquelles une
critique nouvelle cherche � se fonder (v�rit�, modernit�, authenticit�,
sinc�rit�, intimit�, spiritualit�, d�cadence, etc.)
2. Lieux et
supports institutionnels
Dans un deuxi�me temps, il
s�agira de r�pertorier les lieux o� la r�flexion esth�tique se formule et
s�expose : Salons, d�ners litt�raires, Prix, acad�mies, cours profess�s en
Sorbonne (Cousin, 1818) ou � l��cole
de Beaux-arts (Taine, 1863), ou cours priv�s � voir, par exemple, le Cours
de litt�rature dramatique de Wilhelm-August Schlegel tenu � Vienne en 1808,
avant d��tre traduit et �dit� en fran�ais (1813) ou le cours d�esth�tique de
Jouffroy (�dit� � sa mort en 1843). On fera l�appel des C�nacles et des
principaux groupes porteurs d�une r�flexion esth�tique novatrice et organis�e,
aux divers moments du si�cle. On devra tenir compte aussi de ce ph�nom�ne que
constitue cette r�alit� collective nouvelle, les � �coles �, sorte de
� politisation de l�esth�tique �. On dressera ainsi la cartographie
�volutive de la pens�e esth�tique et de son institutionnalisation.
Parall�lement, il conviendra de rep�rer les lieux textuels (revues,
correspondances, trait�s, essais, traductions, critique d�art,
� salons � au sens litt�raire du terme, etc.) o� se formulent ces
discours th�oriques. On sera attentif � la chronologie et aux titres g�n�riques
d�ouvrages ou d�articles qui sont comme autant d�embl�mes �ditoriaux de la
r�flexion esth�tique, et o� souvent le mot � art � se d�cline :
� Un mot sur l�art moderne � (Musset, 1833), � Du beau dans
l�art � (Gautier, 1847), Du principe de l�art et de sa destination
sociale (P.-J. Proudhon, 1863), Philosophie
de l�art (Taine, 1880), etc. Une r�flexion d�ordre historique, en
particulier en termes d�histoire culturelle, devra �tablir dans quelle mesure
l�esth�tique, cette activit� en apparence immat�rielle, a pu se trouver
elle-m�me investie dans tout un appareil social de production et de diffusion,
qui, pour avoir �t� limit� le plus souvent aux cercles litt�raires et
artistiques, n�en est pas moins int�ressant � �tudier en termes
socio-�conomiques, tant au niveau des sociabilit�s que des pratiques
�ditoriales.
Cette topographie
institutionnelle devra �tre compl�t�e par une g�ographie, au moins europ�enne.
La question des traductions est ici d�autant plus centrale que la notion vient
de l��tranger, et, qu�elle reste longtemps affect�e d�italiques. Aux yeux de
certains esprits hostiles, elle porte la marque d�abstraction qui caract�rise
la philosophie allemande. De l� l�int�r�t de se poser la question de
l�esth�tique en termes de � litt�rature compar�e �, et � se demander
dans quelle mesure une telle r�flexion a eu - ou non - une sp�cificit�
fran�aise. Ce qui pourra se faire en reprenant la question des influences en
France des traductions des grandes sommes esth�tiques allemandes (Kant, Hegel,
Schelling, Schopenhauer, Nietzsche�), anglaises (Ruskin) ou am�ricaines (Poe,
Emerson), mais aussi des points aveugles en raison de non-traduction ou de
traduction tardive (Coleridge, Carlyle, etc.). De cette mani�re, ce Congr�s
pourra �tre r�ellement celui de toute notre Soci�t� : litt�raires,
historiens de l�art, philosophes, comparatistes, historiens des id�es et des
pratiques culturelles.
Enfin, mais sans que cela nous
am�ne � construire obligatoirement des ensembles en fonction de ce crit�re,
l��volution historique des formes et supports de la r�flexion esth�tique au
cours du si�cle devra �tre elle aussi prise en compte.
3. L�esth�tique �
l��uvre
Si les journ�es pr�paratoires au
Congr�s ont �t� centr�es sur les pr�faces et les manifestes, si le pr�sent
congr�s traite d�abord des diverses autres formes de la r�flexion esth�tique,
il semble n�cessaire d�analyser aussi la mise en �uvre des programmes
ainsi �nonc�s. Quel est le rapport entre la th�orie et les �uvres ?
comment les �uvres les exposent-elles, les mettent-elles en �vidence, mais
aussi en pratique ? Telles seront ici les questions.
Y a t�il alors rapport direct
entre th�orie et pratique ? N�y a-t-il parfois transformation des th�ories
esth�tiques par des �uvres cens�es les mettre en acte ? Par ailleurs, ne
peut-on consid�rer que certaines �uvres, hors toute th�orie pr�alable, sont �
elles seules de v�ritables actes esth�tiques, entra�nant de mani�re implicite
de profondes reconsid�rations dont la r�flexion post�rieure essaie ensuite de
prendre la mesure ? Cela sans oublier qu�il est un autre cas, plus
habituel, o� c�est dans l��uvre m�me que la th�orie se formule de mani�re
encore plus vive (Corinne, Le Chef d��uvre inconnu, A Rebours,
Paludes, L�Atelier du peintre de Courbet, etc.)
Il importe �galement de
consid�rer comment, dans les �uvres d�art du temps, se mettent en place des
th�matiques ou des figures prenant valeur d�embl�mes esth�tiques :
repr�sentation de l�atelier du peintre, autoportraits, romans de l��crivain ou
de l�artiste, etc. Dans les textes litt�raires, il conviendrait de recenser les
lieux (ekphrasis, dialogues, digressions, etc.) o� la pens�e esth�tique
se formule tout en cherchant � s�exposer comme un � beau texte �. Le
trait semble plus accentu� � mesure que, selon l��volution propre au si�cle,
toute �uvre qui pr�tend � une certaine dignit� esth�tique se propose � la fois
comme produit et comme m�ditation en acte de sa possibilit� m�me
(l�aboutissement du ph�nom�ne, qu�on donne ordinairement comme caract�ristique
du si�cle suivant, �tant une �uvre comme celle de Proust, dont les racines au
XIXe si�cle m�ritent d��tre rappel�es).
Dans un esprit compl�mentaire, il
conviendrait d�insister enfin sur ce qui assure la visibilit� de
l�esth�tique : soit donc sur ce qui finit par rendre perceptible � tout un
chacun les choix artistiques d�une �poque donn�e. Autre forme de � mise en
�uvre � de l�esth�tique, rendue ainsi manifeste jusque dans la vie
courante. Ce marquage de la vie quotidienne par l�esth�tique en vogue est
certes plus nettement perceptible de nos jours, en notre �ge de design.
Mais l� encore, le ph�nom�ne est n� au XIXe si�cle. Cela est patent
dans les domaines de l�architecture, de l�urbanisme, du paysage. Certaines
formes d�architecture ont un lien avec des �v�nements historiques
(l��gyptomanie, li�e aux exp�ditions de Bonaparte, ou le n�o-gothique, qui
n�est pas sans liens avec l�id�ologie de la Restauration). De m�me, dans le
domaine de la d�coration et des arts graphiques (le japonisme, li� aux
exp�ditions coloniales). Autre forme de � mise en montre � de
l�esth�tique : la mode, avec ses effets sur les transformations de la
silhouette f�minine telle que la remod�le p�riodiquement la haute-couture.
Il faudrait tenir compte aussi du
rapport entre l�esth�tique et les �volutions de la technique: l�architecture
m�tallique (la Tour Eiffel), l� art industriel, moqu� par Flaubert, mais
non sans influence sur l��volution des arts d�coratifs, l�art de l�affiche, qui
favorise le contact du public avec certaines formes de l�avant-garde picturale,
et surtout, bien s�r, la photographie, dans la mesure o� elle devient un art �
part enti�re. Tout cela d�bouchant sur le probl�me de la reproductibilit�
cher � Benjamin.
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